Je passe les jours suivants dans un état second. Je dors, je mange, je traîne dans le jardin; Allie tente de me dérider par tous les moyens, mais rien ne fonctionne. Je ne participe plus à aucune leçon et je suis plus qu'invitée à rester recluse dans ma chambre. On tolère quand même que je prenne l'air dans le parc.
Je ne cesse de penser à Marie-Lou. Par ma faute, elle est enfermée dans un hôpital psychiatrique, certainement avec d'autres fous psychopathes.
J'ai envie de pleurer en repensant à la façon dont je lui ai parlé, mais aucune larme ne vient. Mes yeux se sont brusquement asséchés, mais je trouve que c'est peut-être mieux ainsi.
Je me drogue à écouter en boucle la même chanson du groupe Imagine Dragons, Demons, qui résume assez bien l'état dans lequel je me trouve.
- Anna?
Je sursaute. J'étais encore perdue dans mes pensées. Je reconnais Sawyer qui se tient à quelques pas de moi.
Il a l'air étonné de me voir assise, seule sous un chêne, les écouteurs dans les oreilles, fredonnant une chanson triste.
- Ça va?
Je ne lui réponds pas.
Le chanteur entonne le refrain et je chantonne en même temps que lui:
Look into my eyes
It's where my demons hide
It's where my demons hide
Don't get too close
- Hé! Anna! J'te parle là!
- Quoi?!
C'est après coup que je me rends compte du ton méchant sur lequel je viens de lui répondre. Je me mords la lèvre en voyant son air attristé.
- Je peux m'asseoir?, demande-t-il.
Je hoche la tête et coupe la musique, tandis qu'il se laisse tomber à mes côtés.
- Qu'est-ce qu'il se passe?
Il me fixe droit dans les yeux.
- T'es pas au courant?
Une fois de plus, je m'étonne de mon ton glacial, mais comment pourrais-je être douce après tout ce qui vient de se produire?
- Bien sûr que si mais...
Il arrache un brin d'herbe.
- Je préférais la Anna d'avant.
Je lève les yeux au ciel.
- Et comment veux-tu que la "Anna d'avant" revienne?! Figure-toi qu'on m'empêche d'utiliser mon pouvoir, que par ma faute, Marie-Lou est enfermée avec des fous et que je suis emprisonnée ici! Tu penses que ça va me mettre de bonne humeur? On ne veut pas me faire sortir parce que sinon je vais faire un milliard de bêtises vu que je suis "dangereuse"! Tu aimerais être traité de dangereux, toi? De quelqu'un qui peut faire du mal aux autres?
Je sens toute ma colère ressurgir du plus profond de moi et je hurle. Je suis en colère contre les professeurs, contre Mme Barbot, contre Mme Leloup, mais surtout contre moi.
Ma colère prend toute la place, elle habite chaque particule de ma peau, chaque cellule de mon corps. Bientôt, les larmes me montent aux yeux, et je m'en veux de pleurer si vulnérablement devant Sawyer, mais je les laisse couler, et je sanglote en hurlant toute ma fureur.
Au bout d'un moment, toute tension me quitte, si bien que je suis complètement vidée.
Je continue de pleurer en silence, les larmes degoulinent sur mes joues jusqu'à mon menton sans s'arrêter.
C'est la première fois que je suis autant en colère et aussi la première fois que j'ai réussi à ne pas disparaître à cause de cela.
Je me tais. Je me rends compte que Sawyer m'a laissée parler sans m'interrompre une seule fois, et je lui en suis reconnaissante.
Il me prend simplement la main, ce qui fait parcourir un long frisson dans tout mon être, et murmure après un long silence:
- Ça va mieux?
Je hoche la tête.
Il lâche ma main, à mon plus grand regret, et se la passe dans les cheveux, son regard vert perdu au loin.
- Tu sais, j'aimerais vraiment pouvoir faire quelque chose pour toi, mais je ne suis pas le plus apte à t'aider à sortir d'ici.
Je bafouille entre mes larmes:
- Alors qui?
Il se tourne vers moi et souffle:
- Baltazar.
- B-Baltazar?
Je me sens idiote de bégayer comme ça, surtout devant Sawyer. Mais ce dernier se contente d'approuver et ajoute:
- Lui aussi est retenu ici. Et lui non plus ne peut pas utiliser ses pouvoirs.
- Pardon?!
Sawyer me sourit, puis se penche vers moi et murmure:
- Va le voir quand tu peux, sans que les adultes ne le sachent. Bon, moi j'ai cours, ajoute-t-il plus fort, en se levant, je te laisse.
Je suis bien trop abasourdie pour réagir.
Je le regarde s'éloigner sans vraiment le voir. Mon cerveau s'est définitivement arrêté. Est-ce que ça veut dire que je ne pourrais plus réfléchir? Que je suis condamnée à être idiote toute ma vie?
Mais non, abrutie! Allez, remue- toi maintenant.
Je sursaute et obéis à ma petite voix qui peut être plutôt utile parfois. J'essuie mes joues inondées avec la paume de mes mains et glisse mon téléphone et mes écouteurs dans ma poche. Au moins je pourrais me servir de ces derniers pour me défendre si Baltazar m'attaque.
Arrête de penser à n'importe quoi, OK? Et reconcentre-toi sur ta mission.
Je soupire, me lève et me dirige vers le bâtiment des cours. C'est là que je l'avais trouvé la première fois, c'est là qu'il devrait être, non?Je croise quelques élèves, qui me dévisagent avec respect, puisque je fais partie des spéciaux. Cela me met plus mal à l'aisé qu'autre chose et je fixe les pieds en marchant, ce qui n'est pas très utile, puisque je trébuche maladroitement sur le sac de quelqu'un et manque de m'étaler par terre.
- Hé, Anna!
Je me retourne et me retrouve nez à nez avec Timothée qui semble assez essoufflé. Les battements de mon cœur s'accélèrent.
- Tu marches super vite, dis donc!
Je me sens rougir jusqu'à la racine des cheveux. Je glousse; un peu trop bizarrement à mon goût. Il sourit et dit:
- Tu sais... Je suis vraiment désolé pour ce qui s'est passé avec Marie-Lou et tout... Vous étiez plutôt copines, non?
Je baisse les yeux vers mes baskets en haussant les épaules.
- On peut dire ça, ouais.
-Et... aussi j'ai pas vraiment pu te parler ces derniers temps.
Ah, ça oui!
J'avais même l'impression qu'il m'avait délibérément ignorée.
- En fait... Andrea est très jalouse, du coup, elle ne veut pas que je m'approche trop près des autres filles. Et depuis l'incident de l'autre jour, elle... enfin tu vois quoi.
Quel incident? Celui où elle nous avait surpris ensemble ou bien celui qui concernait Marie-Lou?
Je hoche la tête.
- Bon, je dois y aller, dis-je. A plus tard.
- Oui. Oh, attends! Ça te dirait qu'on se voit, genre que tous les deux, un de ces quatre?
Il est pas sensé avoir une copine?
- Euuh...
- OK super! Demain soir à 23h dans le jardin!
Puis, il part en courant.
- Hé! Attends!
Mais il n'a pas l'air de m'entendre.
- Pfff, c'est pas vrai!
Avoue que tu es quand même contente. Mais, tu crois vraiment que c'est le moment d'avoir un copain? Et puis, il a déjà Andrea, je te signale.
Je fais taire cette maudite voix qui m'empêche de me concentrer sur ce que j'ai à faire.
Je repars au pas de course, pénètre dans le bâtiment et longe une bonne dizaine de couloirs. Courir me permet d'ignorer les milliers de pensées et d'interrogations qui s'entrechoquent dans mon cerveau. J'accélère la cadence. Les couloirs se vident rapidement, la plupart des élèves rentrent en classe. Je slalome entre les groupes de filles qui se remaquillent, les bandes de garçons qui chahutent bruyamment et les solitaires appuyés aux murs.
A bout de souffle, je finis par déboucher dans un couloir sombre où je ne m'étais encore jamais aventurée.
Je plisse les yeux et distingue une silhouette dans la pénombre.
La gorge sèche, j'appelle d'une voix que je trouve trop faible:
- Baltazar?
VOUS LISEZ
Les Surnaturels
ParanormaleAnna s'est toujours sentie invisible. Personne ne semble la voir. Un jour, elle disparaît pour de bon et apprend qu'elle possède un étrange pouvoir...