Vingt-quatre

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Le lendemain a lieu mon premier cours de "maîtrise" comme il est inscrit sur mon emploi du temps. Je patiente dans la salle de classe numéro 2. Mon "partenaire", d'après les mots pompeux de Mme Leloup, devrait arriver d'une minute à l'autre. Tout comme notre professeur.
Mais cela fait déjà dix minutes que j'attends et toujours personne. Je commence à désespérer.
Au moment où je m'apprête à quitter la salle, la porte s'ouvre.
- Ah, c'est toi la nouvelle.
Je reconnais aussitôt le garçon que j'ai rencontré hier au petit-déjeuner à la cantine. C'est le seul dont je ne connais pas le nom.
Il me regarde avec dédain et mépris, comme s'il était un magnifique labrador et moi, seulement un vulgaire bâtard.
- Oui. Anna.
Il me toise un instant comme si je n'étais plus un pauvre bâtard mais un immonde chewing-gum collé sous sa semelle.
- Et toi?
- Alex.
Je hoche la tête sans rien dire d'autre. En même temps, il n'a pas l'air d'avoir vraiment envie de me parler. Je me contente de l'observer tandis qu'il dépose ses affaires dans un coin de la pièce. Il a coiffé ses cheveux bruns avec du gel, il porte un jean troué taille très basse et des baskets ornées de logos américains. Il me fait penser aux garçons de mon ancienne classe. Il n'a rien de plus qu'eux, il est plutôt banal. Le genre de garçons qui soigne son look sans pour autant être sublime.
La porte qui se rouvre met fin à mes réflexions et me permet de me reconcentrer sur pourquoi je suis là.
- Oh, bonjour Anna!, s'exclame un homme à l'air jovial. Je suis M. Russel, ton professeur de maîtrise. Alexandre va enfin avoir un binôme avec qui travailler!
Alexandre?
Puis, j'aperçois les joues en feu de mon camarade et le regard noir qu'il envoie à son professeur et j'en conclus que ce doit être son prénom entier. Je ris intérieurement en voyant son regard fulminant mais je me reprends quand le professeur se remet à parler.
-Bien, peux-tu nous dire quelques mots sur ton pouvoir?
- Euuh... et bien, je peux disparaître, surtout quand je suis très énervée ou nerveuse.
- Oui, c'est souvent ce qui se produit. Le pouvoir se déclenche à l'adolescence, c'est pour cette raison que tu n'as jamais disparu auparavant.
Une foule de questions se bouscule au bord de mes lèvres, mais je n'ai pas le temps d'en poser une seule, puisque M. Russel reprend la parole, estimant sans doute que je n'ai pas besoin de savoir autre chose.
- Et toi, Alexandre, peux-tu nous dire ce que tu peux faire?
- Je peux passer à travers les murs et les corps, récite-t-il comme une leçon, et voler.
- Comme tu peux le constater, vos pouvoirs sont très similaires. Quant à moi, je maîtrise vos deux pouvoirs, mais cela m'a demandé des années de maîtrise, conclut le prof avec fierté.
J'hésite, peut-être pour ne pas vexer le professeur, mais m'écrie:
- Moi aussi je peux passer à travers les corps!
M. Russel sourit:
- Voyons, ce n'est pas possible, tu ne peux pas maîtriser ces deux pouvoirs à la fois.
Même Alex esquisse un sourire moqueur.
- J'en suis certaine, monsieur. La première fois que j'ai disparu, j'ai-
- Non, non, voyons, me coupe le prof, ça devait être le coup de l'émotion. Ne raconte pas de bêtises, s'il te plaît. De toute façon, il est maintenant temps de débuter la leçon. Peux-tu essayer d'utiliser ton don d'invisibilité, Anna? Tu dois faire le vide en toi, bien respirer...
Je m'exécute et bientôt ses paroles ne deviennent plus qu'un bruit de fond. En quelques secondes, je me sens disparaître.
Je me tourne vers le professeur, qui bien entendu, ne peut pas me voir.
Pourtant, il me fixe, ébahi.
- Vous pouvez me voir?
- B-bien sûr, bégaye-t-il.
Il se reprend et explique:
- Tous ceux qui possèdent ce pouvoir peuvent voir et entendre des personnes invisibles, vivantes ou mortes.
C'est à mon tour de bégayer:
- M-mortes?
Il hoche la tête.
- Maintenant, fais le tour de la pièce. C'est assez difficile, il faut bien se concentrer.
Je me mets en marche sans difficulté. C'est la chose la plus facile du monde!
Le prof me dévisage, bouche bée. Comme je ne fais pas attention à où je mets les pieds, je finis par passer au travers une chaise. Je frissonne.
Cette fois, la mâchoire de M. Russel semble sur le point de se décrocher.
Sans réfléchir, je me dirige vers Alex, qui, ne pouvant pas me distinguer, regarde confusément autour de lui. Je prends une grande respiration, et le traverse.
Il pousse un cri.
Puis, je refais le vide dans ma tête et en quelques instants, je réapparaîs.
M. Russel et Alex me dévisagent, les yeux arrondis de stupeur.
- C'est t-toi qui as fait ça?, balbutie le garçon.
- Oui, pourquoi?
Le prof secoue la tête, blanc comme un linge et marmonne:
- Je vous dispense tous les deux de cours pour la journée.
Puis il attrape son sac et part à grands pas.
- Bon bah... on fait quoi maintenant?
Alex ne répond pas. Il semble encore sous le choc.
- Hého! Ça va?
- Euuh, oui, je crois. Je vais aller me reposer dans ma chambre.

Je finis par me retrouver seule dans la pièce. Ne sachant que faire, je me retrouve sans m'en rendre compte à traîner dans les couloirs.
Au détour d'un escalier, j'entends soudain des pleurs étouffés. Tout à coup, une idée me vient à l'esprit. Et si j'usais de mon pouvoir pour voir qui c'est? Cela aura au moins le mérite de m'exercer un peu.
J'inspire et... hop!, je deviens aussi invisible que le vent. Je me dirige vers les pleurs en question et découvre...
Andrea!
Abasourdie, je suis incapable d'effectuer le moindre mouvement.
Elle est recroquevillée sur elle-même, ses bras enserrant ses genoux. Elle sanglote bruyamment, les larmes formant des petits ruisseaux sur ses joues bronzées. Ses épaules sont secouées de hoquets irréguliers et ses cheveux défaits masquent une bonne partie de son visage.
Elle tient dans sa main gauche un petit morceau de papier blanc froissé. Je m'approche pour lire ce qui est inscrit dessus.
C'est une photo!
Les doigts crispés d'Andrea m'empêchent de bien voir ce que le cliché représente, mais je distingue tout de même une petite fille brune aux anges entourée de deux adultes souriants.
A ce moment-là, je comprends tout.
Dans le dossier de la jeune fille, j'avais découvert qu'elle avait passé la majeure partie de sa vie dans un foyer pour orphelins. Les deux personnes sur la photo étaient donc sans aucun doute ses parents!
Le cœur serré, je m'éloigne. Je m'en veux d'avoir ainsi troublé son intimité.
Je quitte les lieux et ne me permets de réapparaître seulement quelques couloirs plus loin.
C'est à ce moment précis que je croise le regard terrifié de quelqu'un que je connais bien.
Marie-Lou.

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