01 - conduite

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« Il faut grandir pour comprendre que le passé sera toujours à nos trousses et que les gens n'oublient pas si facilement.
-Summer »


Je passe ma main à travers la vitre baissée pour sentir l'air frais la fouetter. De l'air, enfin, j'en avais vraiment besoin. Sur l'autoroute, je ne pouvais pas ouvrir la fenêtre pour la simple et bonne raison que le vent faisait bourdonner mes tympans et ceux des autres passagers ce qui était vraiment très désagréable quand on y pense ; bien plus que de manquer d'air. Nous venions de sortir de l'autoroute donc je profitais de cet instant pour emmagasiner le plus d'air. Les autres passagers étaient deux adultes ; un homme au volant et une femme sur le siège conducteur ou autrement appelé « le siège du mort ». J'en avais marre d'être en voiture, cela faisait déjà plusieurs heures qu'on roulait et je commençais vraiment à avoir mal au cul et mon téléphone avec lequel j'écoutais ma musique m'a lâché sous prétexte de ne plus avoir assez de batterie. Je me retrouvais donc à analyser le paysage sans musique pour me calmer et m'apaiser.

J'ai les mains tremblantes parce que je ne sais pas encore où je vais atterrir ; comme à chaque fois en réalité. Mais cette fois-ci était différente et je le sentais. Tout ne serait pas les autres fois et je devais me faire à cette idée. Je suis assez anxieuse parce que jamais je n'étais allée aussi loin de ma ville natale ; là où je suis née dans le sud de l'Angleterre sur les côtes. Je suis née entourée de rochers et des flots de la mer mais maintenant je me trouverais dans le Nord, même pas aux côtes, sans même un fleuve traversant la ville. Je suis déjà perturbée alors que je ne suis même pas encore sortie de cette putain de voiture. Tellement de choses m'attendent là-bas alors que je ne suis même pas encore arrivée, de plus, le printemps commence à pointer le bout de son nez et la température ne fait qu'augmenter en flèche. Je serre mon cellulaire dans mes mains en examinant le paysage qui défile sous mes yeux attentifs et peureux.

Une nouvelle famille m'attend là-bas et c'est ce dont j'ai le plus peur. Cela me terrifie et me paralyse même au point que je ne suis même pas sûre d'être capable de sortir de la voiture quand il le faudra. Mes cheveux tournent tout autour de ma tête, s'éparpillant et se mettant dans tous les sens. Je sais déjà que je vais devoir les démêler et que cela va me prendre une bonne trentaine de minutes tellement qu'ils sont longs et qu'ils s'emmêlent ensuite à une vitesse fulgurante alors avec le vent en plus je n'ose même pas imaginer la difficulté avec laquelle je vais devoir m'y prendre pour démêler tous ces nœuds. Je passe ma main dedans pour les ramener à leur place initiale mais cela ne sert à rien, le vent les fait déjà voltiger dans tous les sens. J'abandonne déjà parce que c'est techniquement impossible de dompter ma chevelure alors que la fenêtre est ouverte. Comme je ne veux pas la fermer, je devrais me battre avec mes cheveux, tant pis. Mes écouteurs sont tout emmêler et l'idée de devoir me battre avec eux aussi plus tard m'irrite immédiatement.

J'en ai marre de devoir me battre avec tout ; que ce soit avec des choses physiques comme non-physiques. C'est toujours les mêmes combats et les mêmes difficultés qui s'imposent à moi. C'est toujours la même chose à quelques nuances près. J'en ai vraiment marre. Nulle part, je n'arrive à m'intégrer totalement ou alors quand j'y arrive quelqu'un trouve que ce n'est pas le cas alors on me change d'endroit. J'ai déjà fait tout le Sud des Royaume-Unis et maintenant je pars bien plus haut dans le pays. Mes fesses sont vraiment douloureuses.

Je suis de mauvaise humeur, je crois, enfin j'en suis sûre plutôt. Je ne sais vraiment pas à quoi m'attendre dans cette ville de Bradford dont je ne connaissais limite même pas l'existence jusqu'à ce que l'on me dise que je vais aller y habiter. Je ne comprends vraiment pas pourquoi je vais aller dans une famille d'accueil alors que j'aurais très prochainement ma majorité. Je ne vois pas où en l'utilité et c'est franchement déplaisant de se dire que les adultes qui peuvent avoir que quelques mois en plus comme des quarantaines d'années vous prennent pour un jouet que l'on balade.

Parfois, j'ai vraiment envie de les baffer ou de les défoncer mais je ne crois pas que cela est possible parce que je ne suis encore qu'une enfant ou encore un jouet à leurs yeux ; pour eux, je ne suis capable de rien. Mes pensées divaguent au rythme du paysage changeant. Mes pensées fusent telles des fusées qui décollent pour se rendre dans l'espace. Mes pensées sont comme des étoiles filantes dans une nuit noire, elles éclairent le temps de son passage assez court et disparaissent ensuite sans que plus jamais on ne peut la revoir de la même façon. Je suis toute engourdie alors que le véhicule sort de la grande route pour commencer à se faufiler parmi d'autres pour entrer dans la ville. Bradford est a encore quelques miles, l'once d'espoir de me dégourdir les jambes est partie aussi vite qu'elle est arrivée. À l'allure à laquelle on roule, nous ne sommes pas prêt d'arriver dans la ville et encore moins dans l'un des quartiers résidentiels dans lequel je vais vivre.

Une nouvelle ville, une nouvelle vie, pas vrai ? Je ne crois pas, parce que mon passé me poursuit où que j'aille et je ne crois pas que le fait que j'aille presque à l'extrême opposée du pays va y changer quelque chose. Je ferme les yeux et prend une grande inspiration en réalisant qu'à présent ma vie sera dans cette ville et nulle part ailleurs, que mon avenir se joue ici et que c'est le moment de montrer mes marques et de faire mes preuves sans laisser personne entraver ma route ou me pousser dans le mauvais chemin comme je l'ai toujours été auparavant. Je n'ai plus de nouvelle chance cette fois-ci, c'est la dernière et on ne m'en laissera plus.

Je dois me prendre en main et cette pensée me donne des vertiges parce que je ne suis encore nullement prête à devenir une adulte ; je suis encore une adolescente en manque d'affection qui se rebelle contre le monde et la société dans ma tête. Mon esprit divague encore un peu alors que les miles qui me séparent de ma nouvelle vie –si je puis le dire- se réduisent au fur et à mesure. Les adultes devant moi, venant de mon orphelinat et qui sont là pour s'assurer que j'arrive bien à destination et que je ne vais pas tenter de m'enfuir directement ni de fuguer dès l'après-midi, parlent ensemble en m'ignorant totalement comme si je n'étais qu'un rien ou que je n'existais pas en réalité ; ce que j'aimerais parfois.

Encore une nouvelle ville. Encore une nouvelle vie. Encore de nouvelles têtes. Encore une nouvelle famille d'accueil. Encore une torture.

Et si je décidais de changer tout cela ?



Your Smile Is My Paradise//z.mOù les histoires vivent. Découvrez maintenant