1. 2mois plus tard

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J'étais exténuée. Trier sept ans de vie commune et me faire ma place dans l'urgence dans un appartement encore meublé par son ancienne propriétaire, bien entendu au dernier étage d'un bâtiment dépourvu d'ascenseur, n'avaient pas été une mince affaire. Heureusement, la vue depuis la terrasse qui encerclait le bâtiment valait toutes ces marches à gravir.

En poussant un soupir, je me laissais violemment tomber sur le vieux canapé style causeuse qui traînait encore dans un coin de la pièce. Aussi tôt, un nuage de poussière se souleva comme pour protester contre le traitement que j'infligeais à cette antiquité. Je partis dans une quinte de toux.

"Beurk", pensais-je. Heureusement demain, il serait parti, stocké dans le garde-meuble que ma grand-mère avait fait réserver afin que je puisse libérer les lieux de ses affaires. Partie en voyage culturel depuis bientôt six mois avec un groupe de copines aussi veuves que guindées, elle avait eu vite vent de ma situation précaire. Larguée à quelques mois de mon mariage, avec un job à mi-temps pour couvrir mes dépenses de célibataire en plus des cours pour devenir infirmière...

Autant dire que le loyer de l'appartement que je partageais avec Marc était au-dessus de mes moyens. En fait, à peu près tous les appartements de la ville, mis à part les trous à rat grands comme un mouchoir de poche, étaient au-dessus de mes moyens.

Alors que je m'étais résignée à retourner vivre chez maman, Mamy m'avait proposé de m'installer chez elle. Pas de loyer à payer, je n'aurai à me soucier que des factures courantes et à entretenir les lieux. De plus, j'avais eu carte blanche pour la déco et il y avait un peu de travail de ce côté-là. Bien sûr, il me faudrait une bonne demi-heure supplémentaire le matin à l'heure de pointe pour aller en cours ou au travail, mais c'était franchement un détail insignifiant au vu de ma situation.

J'avisais le premier carton à portée de main et l'ouvris. Le sourire de Marc, figé sur le papier glacé me sauta aux yeux. Mon cœur se serra douloureusement et j'eus du mal à ravaler la boule qui m'obstruait soudainement la gorge. Depuis ce fameux jour, deux mois plus tôt et son sms de rupture, j'avais eu très peu de nouvelles de lui. Quelques messages écrits laconiques pour répondre aux questions urgentes: puis-je résilier le bail de l'appartement, peux-tu prévenir qu'il faut annuler la commande de ton costume de cérémonie, Etc. Rien de plus personnel, il avait soigneusement évité mes appels et n'avait jamais répondu aux questions intimes et souvent pathétiques que j'avais pu lui laisser sur son téléphone.

Je rangeais la photo au fond d'un tiroir. Je n'avais pas encore le courage de la jeter, mais je n'avais pas non plus la force de passer devant chaque jour.

Lorsque j'avais ouvert la porte de l'appartement, ce soir-là, le soir de la rupture, rien n'avait vraiment bougé et pourtant tout était différent. L'horrible porte manteau année 50 que Marc avait trouvé sur la brocante du coin était toujours à sa place, mais plus sa veste préférée en tweed qu'il laissait accrocher là toute l'année. J'avais déposé mes clés dans le tiroir de la commode orientale comme à mon habitude et noté mentalement que les siennes ne s'y trouvaient pas comme celles de chez sa mère.   Sa photo en compagnie de ses deux meilleurs potes au grand canyon n'était plus sur le meuble du téléviseur. Ses pantoufles qui traînaient toujours devant le canapé (rarement ensemble) n'y étaient plus. À la place de sa collection de CD de jazz, il y avait un espace vide sur l'étagère de la mini chaîne stéréo. Ma terrible inspection s'était terminée dans notre chambre, enfin ma chambre à présent. La penderie mal fermée laissait voir des cintres vides. Quelques vêtements trainaient encore au fond et son tiroir débordait toujours de chaussettes bien que quelques paires n'y soient plus. De toute façon avec la collection impressionnante de chaussettes qu'il avait, celles qui restaient n'allaient pas lui manquer de si tôt. Il devait parler de ça quand il disait « le reste de mes affaires ». Assise sur le lit - ce lit où le matin même, il m'avait tenu dans ses bras, j'avais éclaté en pleurs.

La Tentation d'AliceOù les histoires vivent. Découvrez maintenant