T'avais pas le droit.

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Ça fait maintenant deux jours que je suis coincée dans cette chambre d'hôpital, deux jours que j'entends les infirmiers parler dans mon dos en chuchotant tout en me regardant, pensant être discret. Pour la première fois, le plus jeune, s'approche de mon lit, ses mains tremblent comme s'il allait m'annoncer quelque chose de grave. Je sais très bien ce qu'il va se passer maintenant, je l'ai toujours su, j'ai aucune envie d'aller là bas.

- Bonjour Mademoiselle.

- Bonjour...

- Avec mes collègues, cela fait plusieurs heures que nous discutons à propos de votre état et nous pensons qu'il serait mieux pour vous, que nous vous emmenons dans un établissement où ils vous aideront à dépasser cette envie de... enfin vous voyez...

- Assez bien oui, Interne ?

- Ça se voit tant que ça ?

- C'est à dire que niveau tact c'est pas encore ça, et vous auriez osé dire « mourir » ou même « mettre fin à vos jours »...

- Mais vous saviez ce qui allait vous arriver...

- C'est vrai...

Puis il repart en me souriant, je ne lui ai pas souri en retour, je n'ai pas réussi. Je savais ce qui allait m'arriver si je me loupais, mais ce n'est pas ce que j'avais prévu...

J'ai à peine le temps de cligner des yeux que j'aperçois Aiden adossé contre la porte de ma chambre. J'avais envie qu'il vienne vers moi pour me prendre dans ses bras, mais je me tais, c'est lâche, mais je me tais. Il le sait, je le vois dans ses yeux, dans son attitude, il a aucune envie d'en parler, mais il va pas réussir à se taire, ça reste Aiden.

- Je veux pas qu'ils t'emmènent là bas...

- J'ai pas le choix Aiden.

- On a toujours le choix.

- Pas cette fois...

Un silence se fait entendre, moi non plus je veux pas y aller, je vais devenir folle là bas, j'ai besoin d'Aiden, j'ai besoin d'Allison et j'ai besoin plus que tout de Tyler. Depuis qu'Adèle est parti, ça va paraître débile, mais je suis incapable de m'endormir seule. Je suis incapable de rester seule.

- Tu sais combien de temps?

- Quelques mois je suppose, un ou deux...

- Tu vas me manquer...

- Tu viendras me voir?

- C'est quoi cette question Emma?

Je lui souris, il s'approche de moi puis dépose un doux baiser sur le haut de mon front puis repart vers la salle d'attente. J'aurais pas dû me louper, j'avais aucune intention de le faire, c'est pire là bas. Les larmes me montent aux yeux en y pensant, j'aurais pas dû, j'aurais pas dû putain. On a pas le droit de fumer là bas, pas le droit de boire, pas le droit aux objets coupants, c'est pire qu'une prison, c'est pire que tout. C'est toutes ces petites choses qui me tenaient en vie en attendant le jour où je déciderais de tout arrêter, mais si je n'ai plus tout ça, comment ça va se finir?

Je vois une silhouette prêt de l'entrée, je déduis de ses formes que c'est une femme. Puis j'apperçois des longs cheveux blonds le long de son cou, Allison. Elle entre sans faire de bruit, puis s'assoit sur le fauteuil à côté de mon lit. Elle se contente de me regarder fixement, je fuis son regard. Remarquant qu'elle ne compte pas dire un mot, je me décide à dire quelque chose :

- Il paraît que tu es venu me voir?

- Tu ne t'en rappelle pas?

- Non...

- Fait chier, j'ai pas envie de faire ma fragile.

Je n'ai rien dit, je sais très bien qu'elle va la faire sa "fragile" comme elle dit.

- Bon ok, je vais te le dire...

- Je le savais...

- Fermes la Emma...

Elle me fait rire, c'est rare en ce moment. C'est une de ses qualités, faire rire sans même en avoir la volonté.

- Merde Emma! C'est complètement con de faire ce que tu as fait? T'as pensé aux conséquences?

- Non.

- Putain merde! Imagines si tu ne t'étais pas ratée! Aiden, Tyler... Moi, on aurait fait quoi? Pourquoi tu ne m'as pas parlé de ce qui se passait dans ta tête?

Je sens un poid sur la gorge, un sanglot qui veut remonter.

- Tu comprends pas...

- Je peux pas comprendre si tu me dis rien Emma. Je comprends qu'on puisse en arriver là, c'est pas ce que je te reproche. Ce que je te reproche, c'est de m'avoir laissé te parler comme on parle à chien, fallait me dire que tu allais mal, je t'aurais aidé à te reprendre en main. Maintenant comme ils disent les seuls qui peuvent t'aider à te reprendre en main c'est ces médecin, qui ne mettent pas de cœur dans ce qu'ils font. Ils sont plats ces gens, tu sais pas ce qu'ils pensent.

- C'est faux...

- Tu t...

- C'est faux! C'est pas eux qui vont m'aider, c'est vous. C'est vous et tu le sais très bien.

Tout ce qu'elle réussi à répondre c'est un long et désespéré souffle.

- C'est pas ça que tu m'as dit, quand je dormais.

- Tu dormais pas... Mais non effectivement, c'est pas ce que j'ai dit...

- C'était quoi alors?

- J'ai dit que t'étais conne d'avoir fait ça, que c'était complètement égoïste, Toi et Aiden vous êtes les seuls amis que j'ai et j'ai pas la force de perdre un de vous deux. T'as pas vraiment la valeur de la vie en tête toi hein? J'ai vu la mort un jour, j'ai pas trouvé qu'elle était jolie et j'ai aucune envie d'y retourner. Toi c'est pas le cas, toi tu veux être amie avec la mort. Il faut que t'arrêtes, c'est pas en crevant que ça va tout régler ça va même sûrement créer plus de dégâts qu'autre chose. C'est pas la solution, on peut tous te sortir de là. C'est pas comme si personne ne tenait à toi, tu m'as moi, tu as Tyler, tu as Aiden. On est tes amis Emma, t'avais pas le droit de nous faire ça. Et on avait pas le droit de te laisser.

Je l'avais jamais vu comme ça avec tant d'émotion dans la voix, son torse se relevait plus vite, elle respirait avec difficulté. Peut-être était-elle blessé que je n'ai pas demander son aide, ou peut-être s'inquiétait-elle tout simplement pour moi. Elle était l'une des personnes les plus importantes pour moi, et elle ne le savait même pas. Je fais l'effort de passer les jambes au dessus de mon lit, pour pouvoir m'assoir sur le coin de celui-ci. J'ai la tête qui tourne et les bras qui tremblent, elle se penche vers moi pour m'aider mais au lieu d'accepter son aide je lui attrape la taille et l'attire contre moi. Ma tête dans le creux de son cou je sens ses muscles se crisper, puis au bout de quelques secondes, ses bras s'enroulent autour de moi. C'est la première fois qu'Allison et moi partageons un moment comme celui-ci, on est resté comme ça quelques temps puis elle m'a aidé à m'assoir, a retaper mon oreiller puis est reparti en souriant.



Pas du tout. Tome 2Où les histoires vivent. Découvrez maintenant