Janvier 2008

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"Le temps est assassin et emporte avec lui les rires des enfants."

- Renaud, Mistral Gagnant.

***

Approchez-vous. Encore un peu plus près. Parfait. Ne bougez plus, ne faites plus un bruit.

Vous voyez la petite maison de briques rouges au bout de la rue ? Celle aux volets blancs et bleus, dont un faible filet de fumée s'échappe de la cheminée.

Vous l'avez repérée ? Bien. Regardez le deuxième étage, vous ne pouvez pas le rater. La seule fenêtre illuminée à des kilomètres s'y trouve, celle qui donne l'impression d'être une luciole perdue dans la nuit.

Concentrez-vous sur elle. Regardez-la de plus près. Attention ! Ne bougez pas, vous risqueriez d'être repéré. Fixez-la. Tentez de distinguer les détails.

Vous l'avez aperçue ? Là, juste à la fenêtre. Cette petite chose fragile et frêle, la petite fille aux longs cheveux noirs comme la cendre, comme les ténèbres. Vous remarquez l'éclat de sa chemise de nuit blanche ? Vous voyez le reflet de la lumière sur ses larmes ? Elle ressemblerait presque à un fantôme.

Pourquoi pleure-t-elle ? Je ne sais pas. Parce que la nuit est trop sombre et opaque ? Parce que l'obscurité lui murmure des secrets? Parce qu'une fois le soleil couché, les ombres envahissent sa petite chambre aux murs roses ? Ou peut-être est-ce parce que sa mère lui manque ? Je ne sais pas.

Non, ne partez pas ! Nous y sommes presque. Ne ratez pas le clou du spectacle, je vous promets que ça en vaut la peine.

Ne perdez pas de vue la luciole égarée et le fantôme à son bord. Dans quelques instants, une ombre va se glisser entre les murs roses, attirée par les cris qui ont retentit avant votre arrivée. Est-ce que cette ombre veut du mal à la fillette ? Peut-être, elle-même n'en est pas certaine. Je suppose que ses motivations sont louables mais l'enfer n'est-il pas pavé de ces mêmes bonnes intentions ?

Regardez ! Juste-là. L'ombre est arrivée. Evidemment, notre fantôme n'est pas apeuré. Pourquoi le serait-elle ? Elle ne s'est pas habituée à toutes les ombres mais celle-là, elle la connait par cœur. Elle connait son odeur, sa voix, son rire mieux qu'elle ne se connait elle-même. Voyez comme elle se jette dans ses bras et pense qu'il va la réconforter, l'embrasser et la glisser dans ses draps.

Et maintenant, tendez l'oreille. Vous l'entendez ? Les supplications de la fillette, les ordres de l'ombre. Faites un effort, écoutez mieux.

« Tu as juste un petit problème Théa, mais ce n'est rien. Tu vas être aidée pendant quelques temps et puis tout ira mieux. C'est pour ton bien.»

Attendez quelques instants et vous verrez la luciole s'éteindre. Attendez quelques minutes de plus et vous discernerez l'ombre entrainer notre fantôme dans la rue. Vous apercevrez des flocons s'emmêler dans une chevelure sombre et es larmes geler sous la morsure du vent. Vous entendrez les paroles rassurantes d'un père, des paroles sensées justifier son acte. Vous sentirez tout le désespoir et l'incompréhension d'une fillette. Vous verrez les phares d'une voiture se réduire à deux petits points lumineux dans la nuit.

Où l'emmène-il ? Dans un endroit où des hommes en blouse blanche tenteront de lui faire croire que son esprit n'est pas un endroit sûr. Un endroit où on lui dira que la nuit n'est ni trop sombre, ni trop opaque ; que l'obscurité n'a pas de secrets à murmurer ; que même une fois le soleil couché, les ombres ne l'approcheront pas.

Peut-être aura-t-elle le droit de pleurer sa mère. Peut-être.

Pourquoi vous ai-je montrer cela ? Parce que la souffrance humaine n'existe pas réellement tant qu'elle ne connait pas de témoin. 

Est-ce que la fillette va bien ? Je ne sais pas.

Comment sais-je tout cela ? Vous ne voulez pas le savoir.

Suis-je impliquée là-dedans ? Vous ne voulez pas le savoir.

Qui suis-je ? Vous ne pouvez pas le savoir.

NoxOù les histoires vivent. Découvrez maintenant