XIX

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"What a terrible feeling to love someone and not be able to help them."

- Jennifer Niven, "All the bright places"

Théa

—Alors la voyante, toujours rien ?

Je rouvre les yeux au moment où sa voix me parvient. Combien de temps ai-je passé ici, le bout de mes chaussures dans l'eau, le vent glacial dans mes cheveux et l'esprit à des milliers de kilomètres ? Je n'en ai aucune idée mais assez longtemps que pour que la nuit soit sur le point de tomber autour de nous. Lorsque j'essaye de bouger, chaque membre de mon corps semble être tétanisé par le froid comme si, au cours des dernières minutes, je m'étais transformée en statue de glace. Faire quelques pas en arrière est affreusement douloureux et j'en viens à me demander pourquoi Cléa ne m'a pas tirée de ma léthargie plus tôt. Nous aurions dû rester chez nous, au chaud, et simplement discuter de la suite des événements autour d'une tasse de café brulant. Qu'est-ce que l'on espérait en remettant les pieds ici ? Un miracle de Noël ?

Enfin, ce matin, lorsque Cléa et moi nous sommes rendues au centre des archives de Rochester, en quête d'indices concernant ma supposée ancêtre, Eléonore Martel, nous ne savions pas vraiment où nous mettions les pieds. Nous étions parties sur un coup de tête, toutes les deux décidées à chercher des réponses mais surtout à oublier l'absence d'Elias. M'occuper l'esprit m'empêcherait de vouloir poser des questions délicates et de son côté, Cléa pourrait continuer de prétendre que les évènements de la veille n'avaient jamais eu lieu. Nous voulions toutes deux rester dans le déni quelques temps.

J'étais sceptique à l'idée de parvenir à mettre la main sur des documents datant du dix-septième siècle mais Cléa m'a assuré qu'ici, les gens conservaient absolument tout. Selon elle, sa mère a d'ailleurs toujours sa première dent de lait dans un tiroir de la cuisine. Elle m'a affirmé que toutes les personnes vivant dans un petit village perdu au beau milieu de la campagne agissent de la même manière, ils sont incapables de jeter quoi que ce soit. Je ne sais toujours pas quoi en penser car, après tout, il y a tellement peu de choses qui m'appartiennent que je n'ai jamais eu à faire le moindre tri.

—Vous m'avez l'air du genre nostalgique, ai-je remarqué en tentant de faire preuve de tact.

—Tu dis « nostalgique », a-t-elle répondu, mais tu penses « cinglé ». Tu peux me le dire, tu sais, je ne me vexerai pas.

Je ne me serai jamais permis, je déteste beaucoup trop ce mot que pour l'assigner à qui que ce soit, sauf peut-être à moi-même.

Quoiqu'il en soit, il s'est avéré que Cléa avait, comme bien souvent, raison. Après trois longues heures passées, assises sur une chaise inconfortable, à parcourir des photocopies ou retranscriptions de vieux manuscrits, nous avons enfin déniché ce que nous étions venues chercher : le rapport du procès de mademoiselle Martel en personne. Mieux encore (ou bien serait-ce pire ?), une note griffonnée d'une main tremblante, avait été rédigée au bas de la page.

« Le fils né de feu mademoiselle Martel n'est point reconnu comme enfant du Malin. »

Ainsi cet enfant avait été innocenté tandis que sa mère périssait sur un bûcher. Pour être tout à fait honnête, les raisons de cet acquittement m'échappent encore. N'auraient-ils pas dû considérer ce nourrisson comme une sorte de créature maléfique ? Pourquoi l'avoir reconnu de naissance et de père humain ? Je ne m'y connais pas vraiment en termes de sorcellerie mais j'ai le sentiment que quelque chose nous échappe, un détail que l'on ne connaitrait pas encore.

—Tu crois que cet enfant est celui de son amant, Henri Lefèvre ? ai-je demandé.

—Ca me semble peu probable mais ça reste une possibilité, a répondu Cléa, les sourcils froncés. Ce qui est certain, c'est que cette pauvre fille a dû souffrir. Le rapport mentionne de longues séances de torture.

NoxOù les histoires vivent. Découvrez maintenant