II

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" Who run the world? Girls! "

- Beyoncé, Run the world.

Elias

L'hiver est tombé sur Clairemont.

Le paysage n'est plus qu'une immense étendue blanche, un océan glacé où l'on aperçoit encore ça et là quelques brins d'herbe, quelques feuilles tentant de résister. Lorsque le soleil nous honore de sa présence et illumine les collines enneigées, une lumière blanche et presque aveuglante nous submerge. Tout est froid, gelé, et pourtant, c'est pour moi la période la plus chaleureuse de l'année. Si vous écoutez bien, vous pouvez entendre le gémissement du vent dans les cheminées, apercevoir les lumières des sapins aux fenêtres, sentir l'odeur du chocolat chaud.

Mes pieds sont glacés tandis que je marche à grand pas dans la rue principale. Toutes les boutiques sont éclairées et décorées pour l'occasion. Les gens se pressent de rejoindre leur voiture, le nez caché dans leurs immenses écharpes. Les enfants, emmitouflés dans leurs manteaux trop grands, continuent de courir lorsque leurs cheveux ne sont plus qu'un amas de flocons. Comme disait ma grand-mère, ça sent Noël, les repas de famille et le trop plein d'amour que les gens ont accumulé au cours des douze derniers mois.

Mes mains sont engourdies lorsque je pousse la porte du petit café au bout de la rue. En entrant, de la buée se forme sur mes lunettes. L'endroit est bondé, comme d'habitude. Il n'y a que deux cafés à Clairemont : celui-ci où vous pouvez vous faire servir autre chose qu'un whisky bon-marché et l'autre, le repère des ivrognes par excellence.

Une dizaine de petites tables rondes en bois sont alignées le long des murs. Au fond, se trouve un bar qui semble dater des années cinquante. Des tabourets y sont disposés, tous occupés par des gens accrochés à leur tasse comme si leur vie en dépendait. L'endroit sent le chocolat, le café et allez savoir pourquoi, la cannelle. J'aime l'atmosphère qui s'en dégage, tout semble lumineux, doux et agréable.

Je me glisse entre les chaises jusqu'à la chevelure blonde que j'ai repérée dès mon entrée. Cléa est affalée sur la table, la joue sur son bras et l'air à moitié endormi. Je m'installe en face d'elle et je referme l'écran de son ordinateur. Elle me fixe un instant, les yeux presque fermés et le regard absent, comme si elle ne me reconnaissait pas. Finalement, elle se relève sur un coude en baillant et tend sa main pour la passer dans mes cheveux.

—Vos cheveux sont une véritable honte pour l'humanité, monsieur Aubry.

Je tente de les aplatir moi-même. C'est peine perdue.

—Et les vôtres sont un véritable don du ciel, mademoiselle Clairet.

Je lui souris et elle secoue la tête, comme si je lui donnais mal de crâne.

—Arrête de sourire tout le temps Elias, tu me donnes envie de pleurer. Rends-toi utile et va plutôt me chercher un café chez mon bon à rien de frangin.

Je la fixe en souriant de toutes mes dents. Elle finit par rire et me jette un bout de serviette au visage.

—Allez ! On ne fait pas attendre une reine, me dit-elle.

Je retire ma veste et me dirige vers le bar sans cesser de sourire pour autant.

Ça fait tellement longtemps que je connais Cléa, nous avons grandi ensemble. Le village de Clairemont n'est pas grand, deux cent cinquante habitants tout au plus. Ici, tout le monde connait tout le monde et chacun a sa réputation. Des nouvelles rumeurs se chuchotent tous les jours dans les cafés, les épiceries, les marchés. Les gens se sourissent faussement en attendant de rentrer chez eux où ils appelleront leurs amis pour relancer de nouvelles histoires. Encore et encore. Quand je reviens, tous les week-ends, je regrette presque la ville et son anonymat réconfortant. Là-bas, personne ne connait votre passé, vos parents ou les histoires que vous préfèreriez oublier.

NoxOù les histoires vivent. Découvrez maintenant