XVI

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"There's just too much that time cannot erase. »

-Evanescence, My Immortal.

Elias

Cette fois-ci, ils ont choisi la vodka. Son odeur entêtante m'assaille à l'instant même où je passe le pas de la porte. J'hésite un instant avant de traverser le hall d'entrée sombre et poussiéreux. A chaque pas, l'odeur devient un peu plus insupportable. Lorsque j'arrive dans la cuisine, mon petit-déjeuner tente même de s'échapper de mon estomac. Les murs sont constellés de tâches sombres, souvenirs de soirées trop arrosées au vin rouge ou à la bière bon marché. Bouteilles vides et cartons de pizza jonchent le sol mais les armoires, elles, sont presque vides.

Dans le salon, j'ouvre les rideaux et laisse pénétrer les premiers rayons de soleil. Sur le canapé, quelques couvertures et coussins sont éparpillés, tous couverts de tâches de graisse ou d'alcool. Je ne remarque pas tout de suite que la télévision est allumée étant donné que le son a été coupé. Sur l'écran, une jeune femme en sous-vêtements s'agite en chantant sur une musique qui semble entraînante, tandis qu'un homme d'au moins deux fois son âge se frottent à elle. J'attrape la télécommande sur une pile de boitiers de dvd et éteins, dégoûté.

Après avoir ramassé quelques canettes, j'emprunte l'escalier menant à l'étage. Les marches grincent sous mon poids tandis que je les gravis nerveusement une après l'autre. A chacun de mes pas j'ai la sensation que mon rythme cardiaque s'accélère un peu plus. A mi-chemin, je m'arrête et m'accorde quelques instants pour reprendre mes esprits.

Cela fait tellement de temps que je n'ai plus mis les pieds ici... Lorsque j'ai pris ma voiture ce matin, poussé par je ne sais quelle petite voix, je n'ai pas réfléchi à ce que je ressentirai en me retrouvant à nouveau au milieu de tout ça. L'espace d'un instant, j'ai failli oublier pourquoi je me suis juré de ne plus jamais passer le pas de cette porte. J'ai cru qu'après tout ce temps, ça ne me toucherait plus. Grossière erreur. En réalité, je ne sais pas ce que je redoute le plus : les retrouver dans leur état habituel ou découvrir leur chambre vide. Serait-ce pire de les voir se donner en spectacle devant tout le monde ou de devoir leur faire face moi-même ? Il s'agit encore et toujours du même dilemme : sauver les apparences ou porter le poids du monde seul.

En fait, je crois avoir pris ma décision il y a quelques temps déjà. Peu importe si cette entrevue m'empêche de dormir durant les jours qui suivent, je me devais de le faire. Plus question de me cacher dans les jupes de Cléa ou de jouer les faibles. Je ne les laisserai pas me ridiculiser encore une fois. Dix-huit ans que je supporte les regards en coin et les chuchotements, je ne donnerai à personne l'occasion d'aggraver la situation.

Je prends une profonde inspiration mais l'odeur me le fait immédiatement regretter. Cependant, décidé à ne pas me dégonfler, je gravis les marches restantes deux à deux. A l'étage, le bruit de mes pas est étouffé par la moquette tandis que je progresse avec hésitation. Je passe d'abord devant la salle de bain puis, vient le tour de mon ancienne chambre.

Oserais-je seulement y remettre les pieds un jour ? Même après tout ce temps, en me tenant face à cette porte, je me sens comme un enfant devant un placard qu'il croit peuplé de monstres. Physiquement, si je l'ouvrais, rien ne pourrait m'arriver mais sur le plan psychologique, je ne suis pas sûr d'en sortir indemne. Cette pièce contient beaucoup trop de souvenirs et qu'ils soient joyeux ou non, je n'ai aucune envie de m'y confronter. Peut-être est-ce une décision lâche, mais c'est la seule que j'ai pu trouver. Et puis surtout, la seule capable de me préserver.

Lorsque j'arrive au bout du couloir, la dernière porte sur ma droite est entre-ouverte, comme je m'y attendais. Je pose une main sur la poignée et me fige quelques secondes, incapable de l'ouvrir. De derrière, me parviennent des bruits de respiration saccadés. Je me souviens alors de la dernière fois où j'ai trouvé la maison plongée dans un silence aussi profond. Le lendemain je rassemblais toutes mes affaires et prenais la décision de ne plus jamais y remettre les pieds. Que vais-je découvrir cette fois-ci ? Dans quel état seront-ils ?

NoxOù les histoires vivent. Découvrez maintenant