XV

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" La mort est le plus profond souvenir. "

—Ernst Jünger, « La délirante »

Théa

—Mademoiselle, vous permettez que je vous pose une question quelque peu indiscrète ?

Je relève les yeux de mon portable et fais face à une vieille dame, courbée au-dessus d'une canne en bois sombre. Ses yeux d'un bleu pâle me dévisagent avec intensité comme si elle cherchait quelque chose dans mes traits. Je la regarde à mon tour pendant un instant, non préparée à l'idée de m'adresser à quelqu'un. Je ne suis même pas sensée me trouver ici.

Lorsqu'Elias a informé Julia qu'une messe serait donnée en l'honneur de Maxime, j'ai fait une scène aux infirmières pour qu'elles acceptent de me laisser sortir. J'ai tenté de leur fait comprendre que ce n'était qu'un simple malaise et qu'elles ne pouvaient rien faire pour moi. Le seul service susceptible de pouvoir m'aider était celui de la psychiatrie mais cela, je me suis bien gardée de le leur avouer. J'avais croisé assez de psychologues en blouse blanche dans ma vie, il n'était pas question que je subisse à nouveau leurs regards suspicieux. Cette période de ma vie était révolue et j'étais bien déterminée à quitter cet hôpital.

Après m'avoir fait une énième prise de sang et constaté que tout était en ordre, on m'a autorisée à partir. Je me suis alors empressée de rassembler mes quelques affaires et de filer. J'ai longtemps hésité à me rendre à l'église. Et si la cérémonie n'était réservée qu'aux amis et à la famille ? Et si l'on me demandait ce que je faisais là ? Après tout, je ne connais ni Cléa, ni son frère. Je ne suis qu'une étrangère ayant fait irruption dans leur vie, au plus mauvais moment possible. En plus, je ne suis même pas croyante !

Je n'avais aucune raison de venir et pourtant me voilà plantée devant le parvis de l'église, complètement seule, entourée de tous ces gens qui semblent tous parfaitement se connaître.

—Mademoiselle ? Tout va bien ?

La vieille dame me jette un regard inquiet et agite une petite main ridée devant mes yeux. Je lui souris et jette un coup d'œil autour de moi afin de m'assurer que personne n'a remarqué ma petite absence.

—Oui, bien sûr. Je peux vous aider, madame ?

Elle secoue la tête et agite le bout de sa canne à mes pieds.

—Vous n'êtes pas d'ici, n'est-ce pas ? demande-t-elle.

—Non, je viens de Rochester.

—Je ne suis pas étonnée. Je voulais simplement vous dire que vous ne passez pas inaperçu, jeune fille, vous le saviez ?

Instinctivement, je vérifie que je n'ai pas oublié de mettre un pantalon ou un soutien-gorge mais ma tenue me semble tout à fait décente.

—J'ai fait quelque chose de mal ?

—Oh non, vous êtes juste intrigante, répond-elle en riant.

Pendant un instant j'envisage le fait qu'elle ait pu être présente au café de Maxime lors de ma rencontre avec Elias ou même au bord du lac et qu'ainsi, elle m'ait reconnue. Mais qu'est-ce qu'une si vieille dame aurait bien pu faire dehors en pleine nuit ?

—Je peux vous demander ce qui a attiré votre attention sur moi ?

Elle réfléchit un instant et des petites rides supplémentaires se créent entre ses yeux bleus.

—Vous dégagez quelque chose de très différent, ma petite. Il y a une sorte d'aura tout autour de vous qui m'a immédiatement attirée. Ce n'est pas comme si vous brilliez, non... Vous me faites plus l'impression d'un trou noir.

NoxOù les histoires vivent. Découvrez maintenant