XXVII

692 117 13
                                    

Théa

—Vous avez gagné.

Ma voix n'est qu'un murmure qui se répercute dans l'immensité de l'église. Julia s'approche doucement de nous, tel un prédateur. Elle gravit les quelques marches qui nous séparent et vient poser sa main sur ma joue. Je voudrais me détourner mais la corde qui m'entrave m'en empêche.

—Oui j'ai gagné. Echec et math.

Avec une lenteur exaspérante, elle retire sa main de mon visage et la passe dans mes cheveux.

—Tu vas me manquer, chuchote-t-elle.

—Oh non mais je rêve ! raille Cléa.

Julia fronce légèrement les sourcils.

—Tu devrais apprendre à te taire.

J'entends le rire étranglé de Cléa s'élever à côté de moi. Sans même la regarder, je peux sentir sa fureur.

—Je ne suis pas une lâche, désolée de vous décevoir.

Julia balaye ses mots d'un revers de la main. Je voudrais supplier Cléa de se taire mais à la place je demande :

—Qu'est-ce que tu vas faire de nous ?

Ma voix est calme, posée.

—Ca, sourit-elle, c'est une surprise. Je vais juste te demander une dernière chose, Théa. Je veux que tu les appelles et que tu les écoutes.

Lentement, je secoue la tête. Si après tant d'années, j'ai enfin réussi à les maitriser, ce n'est pas pour finir par les invoquer.

—Non.

Tout se soupirant, Julia passe une main dans ses cheveux roux.

—Bien, tant pis. Fais comme ça te chante. De toute façon, je suis persuadée qu'elles viendront à toi au dernier moment.

Au dernier moment. Ses mots se répètent en boucle dans ma tête.

La corde commence à bruler mes poignets et l'odeur d'encens qui plane dans l'église me donne le tournis. Je vois le visage de mon père encore et encore. Je pense à ma mère aussi en me demandant ce qu'elle penserait de moi aujourd'hui. Je suis juste fatiguée.

—Je voudrais savoir pourquoi, je souffle.

—Oh mon petit ange, murmure Julia en s'agenouillant devant moi, tu devrais le savoir. Cette chose qui t'habite, tu ne m'as pas laissé l'utiliser. Tu n'as pas voulu que nous apprenions à la connaitre et à la maitriser ensemble. Imagine toutes les choses que nous aurions pu faire toutes les deux ! Imagine la puissance que tu détiens peut-être !

—Vous vous trompez, intervient Cléa.

—Silence ! hurle Julia.

Je sursaute en l'entendant. Elle n'avait jamais haussé la voix auparavant.

—Tu vois, continue-t-elle en reprenant sa voix doucereuse, si moi je ne peux pas l'avoir, alors personne ne devrait. Tu ne devrais même pas exister, Théa. Tu représentes tout ce qu'il y a de plus hérétique et de mauvais sur terre. Tu es tout ce que le Seigneur déteste.

Elle lève les yeux vers la croix qui se trouve au-dessus de nous, les yeux plein d'étoiles. Elle rayonne.

—Tu n'es pas la première personne que je rencontre à avoir ces capacités.

—Ma mère, je devine.

—Alice, acquiesce Julia. Elle ne voulait pas non plus que je l'aide. Elle a refusé et regarde, elle a fini comme toi. C'est trop triste.

Elle se redresse et porte une main à sa poitrine.

—Tout ce que je fais, c'est pour le bien commun. Je ne fais que rétablir un certain équilibre sur terre.

Elle fait le tour de ma chaise et passe derrière, du côté du cœur.

—Ne m'en veux pas, Théa. Ce n'est pas personnel.

J'entends sa voix mais je ne la vois pas. Cela me rend dingue.

—Laisse nous partir, tu ne nous reverras plus jamais, dis-je.

—Oh non, ce serait beaucoup trop facile, rigole-t-elle.

J'entends un bruit de frottement puis une odeur entêtante m'assaille. Je jette un regard confus à Cléa qui retrousse son nez en fronçant les sourcils. Elle l'a senti aussi.

—Julia, je m'écrie, qu'est-ce que tu fais ?

Elle réapparait soudain, un bidon vide à la main. Elle fait quelques pas en arrière, admirant quelque chose que je ne peux pas voir. A côté de moi, Cléa gesticule pour libérer ses mains mais c'est peine perdue.

—L'heure est venue, les enfants, sourit Julia. Elles vont venir te chercher, Théa. Ne t'en fais pas.

—Laissez-nous partir ! hurle Cléa.

Lentement, elle dépose un baiser sur mon front. Puis, sort quelque chose de sa poche et repasse dans notre dos.

—Je vous jure que je vais vous tuer ! fulmine Cléa. Montrez-vous au moins !

Moi, je ne dis rien. Je m'en sens incapable. Je suis trop las, trop faible.

—Tout mal doit être éradiqué, lance Julia. Toute hérésie doit être contrée. Toute justice doit être rendue. Mais surtout, ma chère Théa, toute sorcière doit être brûlée.

J'entends un craquement puis, le monde explose.

NoxOù les histoires vivent. Découvrez maintenant