Chapitre 9 : Stéphanie

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Le soleil était déjà haut dans le ciel alors qu'il n'était qu'à peine huit heures du matin quand Stéphanie plaqua son visage contre la vitre du salon tout en enfilant une veste légère sur ses épaules. Elle fut à la fois soulagée et angoissée en voyant que le temps était propice à une délicieuse balade. Elle avait rendez-vous avec Hugo dans exactement trois heures et elle ne savait pas encore comment cela allait se passer alors qu'elle lui avait littéralement sauté dessus la veille, lors de leur balade autour du lac. En même temps, ils étaient censés être fiancés et elle n'avait jamais pu imaginer qu'il la rejetterait si brutalement. En repensant au moment où elle l'embrassait et où il la poussait à l'eau, elle se sentit frémir de colère. Pas tant envers Hugo, car il était un pantin dans l'histoire, mais surtout vis à vis de son père qui aimait tout contrôler et qui lui avait laissé entendre que c'était ce à quoi Hugo s'attendait depuis quelque temps, le sexe. Une fois de plus, elle avait été manipulée et la honte, l'humiliation retombait sur elle.

Agacée de devoir se plier aux ordres de tout le monde, elle rajusta la lanière en cuir de son sac et se dirigea prestement vers la porte d'entrée. Mais au moment où elle allait l'ouvrir, une main se posa sur son épaule et la tira en arrière. Sans surprise, elle se retrouva nez à nez avec son père, Denis et derrière lui, se tenait sa mère, accompagnée d'une expression contrite.

- Où vas-tu si tôt ? Demanda Denis d'une voix qui se voulait chaleureuse mais qui fit à sa fille l'effet inverse.

- Je vais me balader. Répliqua Stéphanie. J'étouffe, ici. Surtout que vous refusez de me dire où est parti Kellan.

- Kellan est en mission, je te l'ai déjà dit. S'il ne t'a rien dit, c'est sûrement qu'il avait de très bonnes raisons de ne pas le faire.

- Je ne te crois pas, il ne serait jamais parti sans rien me dire. Il est mon meilleur ami !

- Un meilleur ami qui est parti ! Il serait temps que tu te réveilles, jeune fille. On se fiche bien de ton cher Kellan, actuellement, tout ce qui compte, c'est ton futur mari. Et Hugo ne t'attendra pas éternellement ! Si tu ne fais pas ce que je t'ai dit...

- Je l'ai fait et devine quoi ? Je me suis retrouvée dans l'eau ! Il ne voulait pas de ça et moi non plus alors je crois que je peux désormais me passer de tes directives !

- Tu feras ce que je te dis, fille, sinon, crois-moi, tu le regretteras. Tu vas retenter ta chance aujourd'hui et je me fiche de savoir qu'il te repousse ou non. Tu recommenceras jusqu'à temps qu'il cède, compris ?

Stéphanie serra les dents, vibrante de colère mais elle finit par hocher la tête et se détourner pour sortir d'un pas rageur. Si seulement elle pouvait désobéir à un ordre donné par son cher père, elle éviterait bien des douleurs à elle, comme à d'autres personnes, comme sa mère, ou Hugo. Et Kellan.

Stéphanie sauta sur le chemin qui menait au Sud de Seokeri et emprunta l'allée principale pour s'élancer dans les airs. Elle gagna en altitude sans un regard pour son père qui était sorti et l'appelait et elle bifurqua afin de prendre un chemin plus court. Un des avantages dans le fait de voler : il n'y avait pas d'obstacles. Elle dut croiser une ou deux personnes avant de redescendre doucement mais personne de sa connaissance. Quiconque pensait que Seokeri était un petit village où tout le monde connaissait tout le monde, se trompait. Stéphanie n'avait l'honneur de ne connaître qu'un tiers de la ville. Elle atterrit en douceur devant la bordure d'une haie fleurissante qu'elle connaissait bien. Kellan avait toujours vécu ici, avec ses parents.

C'était un quartier très populaire mais bien plus chaleureux que Seokeri Nord qui recueillait toutes les familles faisant partie de l'Élite. C'était toujours ici que Stéphanie, enfant, se rendait quand elle était triste à cause d'un père tyrannique et d'une mère effacée, la famille Élias la recueillait toujours à bras ouverts et Kellan était toujours là pour sécher ses larmes. Enfants, ils étaient inséparables, les meilleurs amis du monde. Stéphanie n'avait jamais eu besoin de plus que son ami et personne d'autre ne trouvait grâce à ses yeux sinon lui. Quand ils avaient grandi, une complicité s'était installée, une complicité nouvelle, plus tendre. Et lorsqu'ils avaient été encore plus grands, avait naquis l'amour. Un amour brûlant qui les avait d'abord effrayés, les avait amenés à s'éloigner l'un de l'autre, chacun étant conscient de leur statut respectif et de l'impasse de cette relation. Stéphanie se souvenait très bien de ce fameux soir durant lequel ils avaient tous les deux compris qu'ils s'aimaient. Ils étaient partis se balader dans la prairie verte, de façon tout à fait anodine. Ils avaient bien évidemment essuyé des regards scrutateurs à la porte des Veilleurs mais en vertu du statut de princesse de Stéphanie, on les avait laissés passer malgré l'heure tardive. Stéphanie se souvenait parfaitement avoir forcé son ami à aller plus loin que la prairie, là où on leur avait défendu de se rendre. Le Lac Damné, l'endroit fétiche de son bon à rien de cousin mais qui la faisait mourir d'envie. Malheureusement, ils s'étaient arrêtés bien avant de l'atteindre. Kellan, arrivé aux abords de la forêt qui donnait sur le lieu proscrit avait freiné des quatre fers et l'avait retenue avec lui. Elle s'était d'abord énervée, lui avait demandé pourquoi il était si lâche et pourquoi il ne voulait pas faire quelque chose d'excitant, pour une fois. Et il l'avait embrassée. Pour ce qui était de l'excitation, Stéphanie avait été servie. Elle lui avait rendu son baiser avec ardeur, reconnaissant dans le geste de Kellan celui dont elle avait toujours rêvé secrètement et qui ne s'éveillait que maintenant. Leur étreinte avait été avide, dévorante, Stéphanie s'était fondue en lui et il s'était fondu en elle, comme de la lave en fusion. Et puis, son cerveau, qui avait été momentanément mis sur pause, avait repris ses fonctions et elle s'était remis à cogiter. Kellan l'embrassait. Kellan Élias, fils d'un Gardien et d'une Gardienne, tous deux membres de la classe populaire, l'embrassait elle, Stéphanie Harrow, fille de Denis Harrow, fils de Hector Harrow, grand Révérend des Anges. Première fausse note. Kellan Élias embrassait Stéphanie Harrow alors qu'ils n'avaient pas encore atteint leur cent quatre-vingts ans et qu'ils n'étaient pas fiancés. Deuxième fausse note. Et Stéphanie Harrow embrassait tout autant Kellan que Kellan embrassait Stéphanie en toute connaissance de cause. Troisième fausse note. Stéphanie s'était vivement dégagée et elle avait fixé son meilleur ami avec des yeux embués de larmes avant de partir en courant un peu comme Hugo l'avait fait avec elle, l'esprit tourmenté par une promesse brisée. Le lendemain, cela avait été l'anniversaire des cent quatre-vingts ans de Stéphanie. La jeune fille avait passé la nuit à se ronger les sangs d'angoisse et à se morfondre face à l'ampleur de ses difficultés. Elle aimait un homme qui ne serait jamais pour elle, un homme que son père tolérait à peine en tant que meilleur ami et qu'il serait incapable de considérer comme un gendre potentiel. Lors de la sélection de ses prétendants, Kellan ne ferait jamais partie des invitations. Et pourtant, elle l'aimait. Elle avait passé sa nuit à se tourner et à se retourner dans ses draps sans trouver de solution et le lendemain, elle était désespérée. Kellan était venu à sa fête d'anniversaire et ils avaient fait comme d'habitude. Mais cette fois-ci, elle avait senti la distance qui se formait entre eux, qui les séparait. Kellan avait passé la soirée aux côtés de Sissy, une des amies de la jeune célébrée et il ne lui avait pas accordé plus d'attention qu'à un simple pot de fleur. Cela avait été à cet instant précis que Stéphanie avait pris sa décision. Elle s'était rendue dans le jardin où elle avait aperçu son cousin disparaître et l'avait trouvé perché sur une branche. Elle lui avait soutiré des informations sur le Lac Damné puis elle était rentrée à l'intérieur. Kellan avait levé la tête en la voyant revenir et leurs regards s'étaient croisés. Il l'avait suivi du regard alors qu'elle quittait la maison et s'envolait en direction du Lac Damné. Il ne s'était montré qu'une fois qu'ils avaient été sur un gros rocher, celui-là même sur lequel Stéphanie avait essayé de séduire son cousin. Mais ce soir-là, elle avait réussi à séduire Kellan et depuis, ils sortaient en cachette. Jusqu'à ce fameux soir durant lequel elle s'était pointée en retard et ne l'avait jamais vu. Depuis qu'il avait disparu, soi-disant en « mission », elle avait hérité d'un cœur morcelé qui ne demandait qu'à être recollé.

Retour aux Origines (Tome 2)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant