Partie 1: La Tour Sombre - chap III

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Les lourdes portes de bronze pivotèrent lentement sur leur axe, toujours aussi silencieusement. Le soldat attendait qu'elles soient complètement ouvertes pour entrer, comme le réclamait le règlement. Dès que le passage fut entièrement dégagé, il s'avança, tête baissée, regard rivé sur le sol, un mètre devant lui. Il avala rapidement la distance qui le séparait du trône d'un pas assuré et rapide. Parvenu au pied du siège, il posa un genou à terre et colla son menton à sa poitrine, marquant ainsi sa soumission absolue. Le soldat était fier de lui à deux titres. Dans un premier temps sa mission était un succès, sans quoi, sans doute se serait-il abstenu de revenir. Ensuite, il avait encore réussi à masquer l'appréhension qui le tenaillait chaque fois qu'il devait se présenter devant son seigneur. En cinquante années de service, par bonheur, il n'était entré dans la salle du trône qu'à de très rares occasions, et il s'en félicitait. Sa première rencontre avec le Seigneur Noir datait de la fin de son noviciat. Comme chaque nouvel intronisé, il était alors présenté au maître et autorisé à le regarder. Les rédacteurs du règlement pensaient certainement que ce seul et unique regard suffisait à ancrer durablement une crainte respectueuse à son encontre. Ils avaient raison !.. Surtout pour ce qui était de la crainte... Le Seigneur Noir était définitivement impressionnant. Une aura de puissance émanait de sa personne longiligne au regard noir ébène qui fixait sans jamais ciller et semblait clouer sur place. Sa peau, trop lisse et assombrie par l'usage de l'Art, semblait recouverte d'un voile obscur. Sa voix grave faisait directement vibrer les os crâniens de ses interlocuteurs, sensation hautement désagréable, surtout lorsqu'il prononçait un « s », qu'il sifflait légèrement, augmentant ainsi la fréquence de résonance. Ce fut avec ce timbre si particulier que la haute silhouette encapuchonnée de noir du seigneur pria le soldat de se relever et de faire son rapport. Il s'exécuta, d'une voix forte et claire qui l'étonna lui-même.

— Mission accomplie, Seigneur. Le Boeing est détruit et Avalon a perdu son futur disciple. Nul ne pourra jamais expliquer les raisons du crash et Avalon devra attendre la prochaine décennie pour avoir un nouveau disciple.

— Je sais déjà cela ! répliqua le maître d'une voix sèche en sifflant légèrement le « s ». Cependant, il m'apparaît que ta mission ne fut aussi bien remplie que tu l'avoue. Certains ont survécu et sont à Avalon actuellement, cela ne devait être !

— Seigneur, répondit le messager avec, cette fois, un léger tremblement de la voix. Le disciple est bien mort, je vous le certifie. Les rescapés doivent leur survie uniquement à la bonté des Avaloniens, mais il est impossible qu'ils en fassent des disciples. Sans doute seront-ils renvoyés directement, après un sort d'oubli dès qu'ils seront remis.

— Les suppositions m'importent peu ! Seules les certitudes méritent mon attention. Et ton échec est une certitude.

Le soldat savait quel était le sort réservé à ceux qui décevait le Seigneur Noir. Sa loyauté n'allait pas jusqu'à attendre la mort sans rien faire. En dépit de la certitude qui lui broyait les entrailles, il décida d'affronter la mort de face et tenta le tout pour le tout. Redressant la tête, il leva la main gauche, plia le majeur et l'annulaire et commença une incantation de protection. Dès qu'il eut fini, un bouclier mystique, sombre rempart d'énergie palpitante, s'érigea entre le trône et lui. Le maître l'avait regardé faire sans réagir, puis il leva une main aux doigts longs et osseux. Ses ongles étaient sombres, mais il ne s'agissait pas de vernis. Imitant le soldat, il replia les deux doigts du milieu et traça quelques signes dans l'air, tandis que des paroles étranges s'échappaient de ses lèvres. Aussitôt, un serpent d'énergie se matérialisa et se détendit vers le bouclier. La tête triangulaire fit littéralement voler en éclats la protection du messager, projetant aux alentours des débris d'énergie qui s'évanouirent rapidement. Le bouclier franchi, le reptile plongea dans sa poitrine avec autant de facilité. Lorsqu'il ressortit, le cœur du messager palpitait entre ses crocs.

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