Quel étrange phénomène que l'acte de se souvenir. Notre mémoire engrange ainsi de multitudes petits moments, des détails, des images, des paroles, des odeurs. C'est instantané, sans acte volontaire. C'est l'instant présent emprisonné dans des lieux secrets que nous serons seul à pouvoir y accéder. Avec le temps, où sont passés ces traces : moments de joie, de peine, d'innocence ? Les jours passent et emportent avec eux les sensations, les images, les paroles. Aujourd'hui, qu'en reste-t-il ? Et demain ? Quelles pensées doit-on conserver pour sauver nos vies de l'oubli... Saurais-je sacrifier de précieux souvenirs pour permettre la survie d'un être aimé.
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Dans le ranch, tout est silencieux. Après un frugal repas de viande séchée et de soupe bien chaude, ils sont allés rassembler le petit troupeau d'Appaloosa que possède Miwa. Quatre bêtes qui, durant l'absence de leurs propriétaires, vivaient dans les champs avoisinants, ayant toujours accès à l'abri et aux réserves de foin et d'eau courante de la grande étable. Les animaux ont fait la fête à Ayanha qui a été très heureuse de les retrouver tous sains et saufs. Ariane et William l'ont aidé à nettoyer les boxes, à étriller et brosser les chevaux qui ont appréciés les soins reçus. Pendant ce temps, Noah s'est occupé de Chimey, qui toujours souffrante, s'est réveillée brièvement. Maintenant la nuit est tombée et ils ont tous rejoint une couche bien méritée.
Chimey est toujours endormie dans le divan du salon, Noah sur le sol près de la cheminée ne quitte pas Veena et veille sur la blessée. William est resté assez tard puis s'est retiré dans une des chambres. Ayanha a repris sa propre chambre tandis qu'Ariana et Kaïra occupent celle des parents d'Ayanha.
Les yeux perdus dans les flammes du foyer, Noah s'est assoupi sans même le réaliser. Il se réveille soudainement, aux aguets mais sans trop savoir pourquoi. Un bruit diffus. À genoux, il vérifie l'état de Chimey qui semble calme. Veena est toujours roulée en boule, au coin du foyer. Il envoie son esprit vers elle mais ne ressent rien d'inquiétant. Le bruit recommence. Il se lève et scrute les ombres environnantes mais ne voit rien. Il écoute attentivement. Il n'y a que le sifflement du vent autour du bâtiment, la neige glacée qui frétillent sur les carreaux des fenêtres et le pétillement du bois rougeoyant dans la cheminée. Mais rien d'inhabituel.
Il attise le feu avec le tisonnier et va déposer une nouvelle bûche dans le feu qui ne tarde pas à faire naître des flammes multicolores avec des craquements et des sifflements. Noah reste accroupi devant la lumière hypnotisante du ballet des flammes. Où en est rendu l'autre équipe ? Que se passe-t-il au barrage ? Qu'ont-ils découvert ? Chimey inconsciente, ils n'ont pas réussi à établir le lien avec les OC vers la Station. Il se promet de s'y pencher plus sérieusement demain et d'apprendre à l'utiliser adéquatement. Il pousse un soupir. Comme tout se complique. Comment aurait-il pu deviner que ce dernier mois changerait sa vie ainsi ? Il se penche sur Veena et lui caresse avec tendresse son pelage plumeux unique. Comment pourrait-il se concevoir sans elle dorénavant ? Il lui semble entrevoir des lueurs dorés mais peut-être n'est-ce que le reflet du feu.
- Comment va-t-elle ? murmure timidement une voix à côté de lui qui le sort de ses pensées et attire son regard.
- Veena ? Elle se repose encore. Et toi Ayanha, tu ne dors plus ?
- Non, être ici sans mes parents me rend trop triste,
Noah compatit à sa tristesse et lui fait signe de venir s'assoir près du feu à côté de lui. Elle s'y installe, acceptant avec joie la couverture que Noah installe sur ses épaules alors qu'il en fait autant avec une autre.
- Tu es chanceux de l'avoir, remarque la jeune fille en désignant l'Aywas.
- Oui, je sais, répond le jeune homme avec un doux sourire.
- Tu n'es jamais seul, murmure-t-elle.
Noah réalise qu'ils se ressemblent étrangement dans leur nature. Tous deux sont issus de deux « peuples » si éloignés : d'une mère terrienne et d'un père Alien. Il se sent tiraillé en dedans par cette double identité et peut comprendre ce qu'elle ressent.
- Si tu acceptes, je suis là, lui déclare Noah.
- Merci. Pourquoi tu ferais ça ? Tu ne me connais pas.
- Ne suis-je pas le seul à te voir tel que tu es ?
- C'est vrai, j'oubliais.
- Comment les autres te voient? Une brunette, hein ?
- Attends.
Elle se lève et va chercher une photo encadrée qu'elle tend à Noah avant de reprendre sa place près de lui.
- Voici donc Ayanha la terrienne ! remarque Noah avec un sourire en observant sur la photo la jeune fille au teint mat et aux yeux noirs, tu réussis même à déjouer la caméra ?
- Oui, mais pas toi ! Tu m'as démasqué ! À cause de ton lien avec Veena, votre prescience.
- J'aime bien ce que je vois, déclare Noah en posant le cadre. J'aime bien aussi ce don de pouvoir voir les gens comme ils le sont. C'est véridique.
- Mon père m'a transmis aussi cette capacité de « vue profonde ».
- Comme Gabby ?
- Oui, elle aussi est Miklawan. Mais moi... je n'aime pas tout ce que l'on voit. Surtout quand il faut faire comme si on ne voit rien. Je crois que c'est pour cela que mon père appréciait de vivre éloigné de la ville.
- Je ne comprends pas.
- Tu n'es pas venu à la Capitale dernièrement ?
- Non pas depuis ... très longtemps en fait.
- Tu n'aimeras pas ce que tu vas voir... Les Autres.
- Les Autres ?
- Les Stotelss.
- Ils sont là ? Tu en as vu ? Pourquoi ne pas l'avoir dit ?
- ...
- On doit avertir William.
- On lui dira demain. Cela ne change pas grand-chose au plan. Toi et moi on verra les Stotelss et avec Veena, tu pourras détecter les terriens qui les appuient. Si je l'avais dit à la Station, Chimey et William n'auraient pas voulu que je vienne. Je voulais revenir ici. Pas dans la ville, mais ici au ranch.
- Mais pourquoi ?
- Nos Appaloosa : les chevaux de ma mère. Quand mon père est revenu de la Capitale, en catastrophe, nous n'avons pas eu le temps de nous en occuper comme il faut. Je voulais leur donner une meilleure chance de survivre et les amener plus au nord, chez un ami qui en prendra soin.
- Mais tu les as vus, ils sont en pleine forme...
- Oui, j'avoue ne plus savoir quoi faire.
- Mais que vois-tu quand tu regardes un Stotelss ? Moi je n'en ai jamais vu.
- Tu ne verras rien dans les photos ou les vidéos. Mais en vrai, j'imagine que tu verras leur véritable nature... Comme moi.
- Tu en as vu beaucoup ?
- Un seul. Un lieutenant de police que mon père allait voir en ville pour une histoire de permis de passage vers un cours d'eau pour les chevaux. En le voyant, j'ai crié tellement fort que mon père a dû me gifler et m'éloigner très rapidement. J'étais affolée, paniquée. Lui aussi tremblait, car non seulement il le voyait aussi mais lui savait ce que cela voulait dire. Nous devions rentrer très vite et quitter le Ranch. Mais mon comportement a éveillé des soupçons. De plus, je crois que le lieutenant savait qui nous étions. Ils nous ont précédé... Ma mère, qui ne les « voit » pas, a ouvert la porte à un policier en uniforme. Ils l'ont... tué.
- Ayanha, je suis désolé, déclare Noah remué par cette histoire qui fait remonter ses propres craintes envers sa mère.
Noah la prend dans ses bras et la console un long moment alors que la jeune fille laisse couler son chagrin, sa culpabilité et son ennui. Noah tente de lui envoyer un baume d'apaisement comme Veena le fait pour lui. Étrangement, il lui semble avoir un contact avec la jeune demi Miklawan. Elle finit par se calmer et s'éloigne un peu.
- Merci de ta présence.
- De rien.
Un silence s'installe pendant lequel les deux jeunes observent le feu qui brûle en pétillant doucement, chacun perdu dans ses propres pensées.
- Et toi ta mère comment est-elle ?
- Un peu comme toi. Très... terrienne. Mais unique et irremplaçable. Je ne sais pas où elle est. J'ai cru comprendre que les Stotelss l'avaient attrapée. Elle m'a caché mes origines pour ne pas me mettre en danger. Mais je ne sais pas pourquoi, depuis l'été, elle a quitté à plusieurs reprises la maison. Puis, elle est disparue.
- Elle ne t'a rien dit ? Rien expliqué ?
- Non, murmure Noah tout en prenant conscience que les réponses sont peut-être pas trop loin. Attend ! Tu m'y fais penser.
Il étend son bras et prend son sac, qu'il a posé sous la table basse du salon, et en extirpe rapidement le mini-ordinateur et la charge mistrale. Il connecte les deux ensembles et ouvre l'appareil. Il obtient le bureau virtuel et identifie rapidement le fichier nommé « pour Noah ». Il l'ouvre et celui-ci lui demande un mot de passe.
- Tu le connais ?
- Ma mère a dit à Linadar que je saurais en temps et lieu.
- Est-ce le temps ?
- ...
Noah réfléchit et essaie les premières idées qui lui viennent. « Noah » échec. « Étolias » non. « Noah Étolias » avec ou sans espace, non. Ensuite, il tente des combinaisons avec les noms de ses parents et tous les amis de ceux-ci. Ensuite, avec des doigts fébriles, il fait des tentatives avec des noms de lieux, de rues, de bâtiments, des dates... Rien ne fonctionne.
- Mais qu'a-t-elle utilisé comme mot de passe qui serait si évident pour moi ? dit-il découragé.
- Quelque chose qui te définit comme étant vraiment toi, propose Ayanha.
- Mais je ne suis plus le même qu'il y a... un mois ... Comment aurait-elle su qui je serais ?
- Car elle le savait, c'est tout. C'est ta mère, elle connaît ton histoire.
- Attends, si c'était ? Noah tape « mistral » avec impatience s'y reprenant deux fois. Non !
- Mais tu n'es pas cela ?
- Tu veux que j'essaie quoi : hybride ? raille Noah.
- Pourquoi pas !... Non, sourit doucement Ayanha.
- D'accord, si tu étais dans ma situation, tu essaierais quoi ?
- Mon nom.
- J'ai essayé.
- Non, pas celui utilisé dans ma vie commune : « Anna Denys » ; mon vrai nom : « Ayanha Deff Stir ».
Noah la regarde en acquiesçant. Cela fait sens, car ce n'est que maintenant qu'il a rencontré les Mistrals qu'il peut connaître ce nom. Celui qui le définit de mieux en mieux.
Doucement, il entre son nom « Noah Eeltor Hias », hésite avant d'enfoncer la touche « retour ». Puis... Clic.
Le dossier s'ouvre.
- Tu es géniale ! félicite-t-il la jeune fille qui lui décerne son plus beau sourire et fait mine de se lever.
- Où vas-tu ?
- Le message est pour toi.
- Mais je ne veux pas être seul. Cela m'angoisse un peu. Reste je t'en prie.
- Avec plaisir, répond Ayanha en reprenant place auprès de lui.
- Merci.
Malgré tout Noah hésite à faire jouer la vidéo.
- Tu n'as rien à craindre Noah, affirme Ayanha en le tenant par l'épaule, il ne peut y avoir que du vrai. C'est ta mère. Elle tenait à ce que tu aies ce message.
- Tu as raison. Allons-y !
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Noah Étolias - Les chroniques de Gaïa
Science Fiction"D'une main incertaine Noah prend le petit sac et l'observe : gris argenté, lisse et uniquement marqué de la même broderie que le manteau de son père, il s'ouvre par un rabat magnétique. Noah regarde à l'intérieur et ensuite il renverse le contenu...