1- Commencement pas du tout niouk

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Je me rappelle que cette semaine fut la pire de ma vie...

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     Bruyamment, l'autobus tourne le coin du carrefour et s'immobilise dans une rue en pente où s'aligne une variété de blocs appartements défraîchis de toutes les couleurs. Le conducteur actionne ses lumières et ouvre la porte du véhicule. Aussitôt, une nuée de jeunes enfants, harnachés de lourds sacs d'école en bandoulière se précipitent à l'extérieur. On se bouscule, on s'interpelle, on se tire par la main le long de la rue aux trottoirs glacés. Viennent ensuite, les plus vieux écoliers qui descendent lentement les marches de l'autobus en gardant les mains dans les poches et le regard au sol. Le sac d'école, en bandoulière sur une épaule, battant le rythme de leur pas nonchalant et stylé. Une fois le dernier jeune descendu, le conducteur referme avec fracas la porte et redémarre en faisant grincer la transmission. Le véhicule tourne bientôt sur la première rue transversale. La rue retrouve son calme.

     Les jeunes s'égaillent dans tous les sens. Certains s'engouffrent rapidement dans les premiers immeubles à logements, d'autres disparaissent dans les rues voisines. L'un d'eux se dirige d'un pas lourd vers le bout de la rue. Il marche seul, il ne semble pas pressé. Un vieux sac de toile sur l'épaule, un livre écorné, recouvert de cuir brun, sous le bras, il regarde droit vers le sol. Il ne réfléchit pas à son chemin, tout se fait automatiquement : c'est la routine.

     Le paysage est connu, vu et revu chaque jour depuis bientôt seize ans. Rien de nouveau, rien de bien stimulant. Seul changement au menu ces temps-ci : la glace qui recouvre partiellement les trottoirs et les rues ainsi que le givre aux fenêtres des immeubles vétustes et des rares véhicules stationnés devant. L'hiver a décidé de faire son apparition brusque au début de la semaine. Pour la ville de Pemplinn, à l'ombre des montagnes, près du Grand Lac, voilà déjà cinq jours que le froid s'est installé et il ne lèvera les voiles que dans quatre mois au moins.

      Derrière la fameuse montagne Bleue, le soleil se cache déjà à l'horizon, dissimulé en parties par des nuages de plomb et de poussières. Le vent de novembre souffle entre les immeubles et gifle les joues cachées sous les cheveux bruns trop longs et fait pleurer les yeux verts pailletés d'or. Ou peut-être y a-t-il d'autres raisons à ces joues mouillées et ces yeux tristes ? Qui sait ?

       Le temps s'écoule et l'adolescent parcourt toute la rue, dépasse la rangée d'immeubles rouillés et se dirige à l'ouest, vers le quartier suivant surplombé par les grosses cheminées de raffineries pétrolières.  Il remarque à peine les lumières au lithium, déjà en opération malgré les derniers rayons de soleil.  Les gros nuages qui s'échappent encore des cheminées grises et squelettiques, lances pointées vers le ciel, sont ainsi nimbés d'une lumière rosée.  Tout autour des bâtiments, les ouvriers quittent les lieux en se saluant de la main. Ils remontent le col de leurs manteaux et se dépêchent à quitter ces lieux qui leur pourrissent les poumons et noircissent leurs mains calleuses.   Ils dépassent l'adolescent comme à toutes les fins de journée. Quelques-uns le regardent passer en se demandant encore une fois où peut bien aller ce garçon au manteau élimé un peu trop étroit pour lui. Mais leur réflexion s'arrête là.  Ils ont hâte de retrouver un quartier plus calme, et surtout plus sain.  Leur famille les attend pour souper en ce vendredi soir.  Ils ont hâte de poser leurs bottes sur le pas de la porte et d'accrocher leur casque pour le week-end.

     Le garçon, en s'essuyant les yeux du revers de la main qui tient le livre, dépasse l'entrée des usines.   Du même mouvement de la main il adresse un salut au vieux gardien et à son chien boiteux qui s'installent au chaud à l'entrée dans la guérite de sécurité.   Le vieux lui fait un signe de la tête et un petit sourire édenté et se hâte de rejoindre la chaleur incertaine de son abri nocturne.  Il referme la porte de son cagibi, dépose sous le comptoir sa boîte thermos qui contient son repas de 23 heures.  Machinalement, il allume sa petite chaufferette et s'installe dans son vieux fauteuil à la cuirette rapiécée.  Il ne tarde pas à fixer son regard sur les moniteurs qui montrent les points de vue des différentes caméras de surveillance de l'usine de raffinage. Mais son attention est inévitablement attirée par un petit poste de télévision diffusant une partie de hockey sur glace.

Noah Étolias - Les chroniques de GaïaOù les histoires vivent. Découvrez maintenant