3 - L'escalade

146 26 33
                                    

Grimper une paroi exige une concentration constante pour conserver le rythme des gestes qui soutiennent notre corps accroché aux aspérités, au-dessus du vide.  Notre parcours se dévoile à nos yeux et soudainement, au-delà de la force musculaire, la volonté devient le muscle de la grimpe et la persévérance suinte par tous les pores de notre peau.  Il en est de même lorsque nous affrontons une épreuve dans la vie : concentration, rythme, parcours, volonté et persévérance.

********************************************************************************

Il marche droit vers le Grand Lac, sans même y réfléchir.  Cette grande étendue d'eau, qui ne gèle qu'au plus tard de l'hiver, représente pour lui la liberté et le calme.  Toujours sans y penser, il suit la berge vers l'est, le soleil droit dans les yeux.  Il flâne plus qu'il ne marche.  Dans l'air limpide et sec, de loin, avec son arc - tel une canne à pêche - qui dépasse de son sac à dos, on peut le prendre pour un pêcheur à la recherche du coin idéal.  Mais il fait bien trop froid pour s'adonner à cette activité.  Le vent souffle rondement sur les eaux glaciales dont les berges commencent à se combler de frimas en surface.  Les pas de Noah résonnent dans l'air vif et font crisser le sol gelé.  Peu de gens traînent dehors, sauf quelques enfants se poursuivant pour se lancer des balles de neige tout en cherchant une colline de neige à escalader ou pour y glisser.  Le jeune homme continue son chemin le long du Grand boulevard qui longe le lac et se retrouve rapidement l'unique passant.  Les arbres de chaque côté du chemin semblent pris dans un écrin pur et brillant sous les rayons du soleil matinal.  La neige au sol étouffe les bruits et reflète la lumière.  La ville de Pemplinn est engourdie par le froid et purifiée par la blancheur du manteau de cristaux de glace.  Il inspire à pleins poumons l'air vivifiant et prend une allure de marche plus vaillante. 

 Perdu dans ses pensées, il se retrouve à l'endroit où le lac devient fleuve, complètement à l'est de Pemplinn.  Il fait une pause en se demandant s'il va traverser le pont enjambant le fleuve ou rester sur cette rive-ci.  Le vent a soufflé la neige et le béton est nu et gris.  L'endroit semble encore plus glacial que le chemin emprunté jusqu'ici.  L'eau verte du fleuve clapote lourdement sur les piliers du pont, donnant une impression de lourdeur et d'une infinie profondeur.  De rares véhicules passent en vrombissant des deux côtés de la route.  Noah sait que le centre Jeunesse recommandé par le commissaire Biron se trouve de l'autre côté, dans la banlieue de la ville voisine, Rotts.  Il fouille dans son portefeuille, en sort la petite carte et en vérifie l'adresse pour mieux se situer.  Le centre se trouve, selon lui, à environ trente minutes de marche après le pont.  Il hésite.   Est-ce vraiment ce qui est mieux pour lui ?  Son instinct est muet.

Alors qu'il réfléchit, il perçoit, porté par le vent, un bruit distinct qui, inexplicablement, lui met les nerfs à fleur de peau.  C'est une flottille de trois camions assez imposants qui s'approche à vive allure.  Loin d'être discrets, les véhicules s'apprêtent, sur l'autre rive, à emprunter le pont du fleuve.  Aussitôt, Noah ressent l'impératif incontrôlable de se camoufler.  Autour de lui, il n'y a que le grand boulevard qui se surélève pour former le tablier du pont au-dessus des flots.  Aucune cachette possible, aucune habitation ou arbre.  Impossible de rebrousser chemin pour trouver un refuge, les distances à découvert sont trop grandes.  Il pourrait bien héler un véhicule qui passe mais il risquerait d'attirer davantage l'attention sur lui, et il ressent que ce n'est pas ce qu'il faut provoquer.  De chaque côté de la route, une falaise rocheuse abrupte tombe vers les eaux.  Sans hésiter, rajustant son sac à dos, Noah enjambe le parapet proche de lui et se glisse habilement sur la falaise, descendant rapidement de quasiment un mètre sur la paroi rocheuse.  Ses excursions d'escalade avec sa mère lui sont d'un heureux secours.  Cependant, la paroi est bien abrupte et le bout de ses doigts est déjà gourd de froid. 

Noah Étolias - Les chroniques de GaïaOù les histoires vivent. Découvrez maintenant