- Je vais le faire.
Une jeune femme, aux cheveux flamboyants et à la silhouette fine, venait de rompre avec cette simple phrase, le silence pesant qui s'était installé entre elle et un vieil homme. Il se tenait à ses côtés, bienveillant. Il avait des yeux perçants de sagesse et dans quelques mois, n'aurait presque plus un seul de ses cheveux grisonnants sur le dessus de la tête.
Cette phrase, dite avec empressement, n'avait pas été choisie au hasard. C'était une réponse. À une question muette, latente, fondamentale pour son avenir, et pour celui du vieil homme aussi. En fait, elle était fondamentale pour l'avenir de Gridaalbane.
Ils étaient côte à côte dans une clairière perchée sur le flanc d'une montagne, entourée par sept arbres majestueux. Longs, aux troncs imposants et au feuillage pointu vers la cime. Ils formaient un rond parfaitement bien dessiné.
La jeune femme et le vieil homme se trouvaient près d'une souche d'une envergure impressionnante. Tellement large que s'ils le voulaient, ils auraient pu y monter tous les deux. Mais ce n'était pas le cas.
En y regardant de plus près, on pouvait apercevoir des cercles gravés sur le dessus de cette gigantesque souche. Plus précisément, trois. Un qui délimitait le contour, un autre un peu plus petit en son centre, et un dernier beaucoup plus réduit, tangent au premier. On distinguait également des signes curieux entre les deux premiers cercles, régulièrement espacés. Une véritable sculpture avait été effectuée ici, sur cette souche. Elle avait un usage précis.
La jeune femme fit quelques pas en avant, confiante. Elle grimpa sur la souche et s'y assit en tailleur, le dos bien droit et la tête haute. Sereine. Elle sortit de son veston vert olive une montre de gousset reliée par une fine chaîne en argent, et la détacha. Elle baissa la tête et, à l'aide de sa montre de poche, effleura la souche à des endroits déterminés par avance. Elle effectuait tout ceci avec un air solennel, comme une sorte de rituel. Un rituel qu'elle avait longuement travaillé avec l'homme près d'elle. Elle lui jeta un coup d'œil.
- Je n'ai pas le choix. Je n'ai plus le Temps d'hésiter, ma décision est prise depuis longtemps maintenant. À quoi bon faire machine arrière si près du but ?
- Je sais bien, soupira le vieil homme d'un ton las. Je ne peux plus me placer en travers de ton chemin ? Et même si j'étais assez téméraire pour le faire, je ne te verrai pas pendant les vingt prochaines années...
- Merci, dit-elle en souriant. Mais il y a de grande chance que tu ne me voies plus de toute manière.
La jeune femme adressa un dernier sourire réconfortant au vieil homme
- Ta détermination me surprendra toujours, dit-il avec un soupçon de regret dans sa voix.
Elle leva la tête vers les étoiles. Elle marmonna quelque chose d'incompréhensible, ferma ses paupières et claqua des doigts.
Elle disparut.
Cependant, au milieu la souche se tenait une enveloppe couleur lavande avec le nom du vieil homme écrit sur le dessus. Il s'avança vers la souche, la prit et l'ouvrit.
Je sais que tu ne m'oublieras pas, mais essaie pour de bon,
Je t'ai laissé la liberté de le faire toi-même alors ne me déçois pas.
Je n'ai pas envie d'oublier moi non plus.
Gridaalbane, la Chaumière, la Ligue,
Et toutes les épreuves que j'ai endurées pour en arriver jusqu'ici...
J'ai mis D. en sécurité, et personne n'est au courant.
Je ne t'ai pas parlé de mes projets car j'estime qu'il n'est pas nécessaire que tu les connaisses.
Si le destin le veut bien, nous nous reverrons de l'autre côté.
Mais souviens-toi : moi, je ne me souviendrai de rien.
Ne m'en veut pas trop.
A bientôt.
Les yeux du vieil homme étaient baignés de larmes et étincelaient à la lumière du clair de Lune. Il leva la tête en serrant la lettre au creux de sa main, et éclaira les étoiles d'un sourire mélancolique.
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Les Passeurs du Temps
FantasiaSarah est en seconde. Elle vit avec sa mère, sa grande sœur et son petit frère. Elle n'a pas de père. Jusqu'à présent, sa vie est on ne peut plus normale, mais bon ça va changer quoi... comme dans toutes les histoires de ce genre. ...