Le vent printanier du port de La Rochelle caressait le crâne et les quelques cheveux ébouriffés du vieil homme. Il attendait que la porte blanche, devant lui, s'ouvre.
Mais personne ne vint.
Il vérifia encore une fois au-dessus de la sonnette, et le nom Kairos y était bien présent. Il sortit la montre en argent de son veston vert olive, elle indiquait 22h15, Samedi 12 Mai 2000. Il ne pouvait concevoir le fait qu'il se soit trompé quelque part. Il n'avait pas pu faire plus vite, et ses estimations se devaient d'être correctes.
Il n'avait pas le choix, cela avait déjà dû se produire, il n'avait plus le Temps. Si elle s'en apercevait avant qu'il agisse, il n'aurait plus la force de faire opposition. Il échouerait de nouveau.
Il sortit une pièce rouge de sa poche, un peu vieille, et la glissa dans le trou de la serrure. Cette dernière s'ouvrit d'elle-même, comme par magie. Le vieil homme répondit à l'invitation silencieuse de la maison à entrer et ferma la porte derrière lui. La pièce rouge ressortit de la serrure, et il la récupéra dans sa chute. Il s'avança dans la pénombre du couloir, silencieusement. Ses pieds ne semblaient qu'effleurer le sol qu'ils foulaient. Au bout du couloir se dressa devant lui un escalier qu'il entreprit de grimper. Arrivé à l'étage, il savait parfaitement où aller, il savait où elle serait allée. Il passa devant une porte fermée sur laquelle figurait encore, mais péniblement, des lettres en bois rouge et jaune, formant le prénom : Séraphine. Il jeta un bref coup d'œil à sa droite et distingua le son d'une respiration sereine à travers une porte entrouverte.
Derrière se trouvait une chambre de bébé, parfaitement bien rangée, les étagères au mur poussiéreuses et dessus, les piles de vêtements alignées avec les chaussons pointure 17. Le vieil homme, après sa longue route, n'aperçut pas directement la personne qui se tenait devant le lit à barreaux.
Il mit un pied dans la chambre, et le plancher grinça sous le poids. La silhouette fit volte-face. Il distingua un profil menu revêtu d'un peignoir, la tête enfoncée dans les épaules pour essayer de mieux cerner ce qui se trouvait dans le noir. Le vieil homme se trouva décontenancé en face de celle qu'il aurait tant aimé voir plus tôt, dans d'autres circonstances. Elle avança d'un pas et un rayon de lune se fraya un passage en travers de son visage. Son regard vert glacé jurait avec ses cheveux roux foncé qui couvraient son petit front. Elle avait les cernes sombres et les lèvres pincées.
Dans ses yeux se mêlaient surprise et fureur. Elle interrogea le vieil homme du regard, mais lui ne lui répondait pas, perdu dans sa contemplation.
— Que fais-tu ici ? demanda-t-elle froidement.
— Je... Hélène... balbutia-t-il.
— Sors de chez moi tout de suite ! rétorqua-t-elle fermement.
Il ne réagit pas.
— Pourquoi ? murmura-t-il finalement
— Que veux-tu me prendre de plus ? répliqua-t-elle d'une voix glacée. Si c'est elle que tu veux, tu ne l'auras pas. Laisse-la-moi cette fois, tu as eu ta chance.
— Es-tu sûre que c'est bien elle au moins ?
Il esquissa un sourire.
— Oui. Je ne sais pas comment tu as fait ce... tour de magie mais c'est elle. Mon bébé...
Elle ne quittait pas des yeux la petite chose qu'elle tenait dans ses bras.
— Mais tu ne l'as pas vue depuis vingt-deux ans.
— Je la reconnaitrais entre mille.
— Écoute Hélène...
— Non ! Il n'y a pas de « Hélène... » qui tiennent ! Laisse-moi avec elle ! Si elle est revenue c'est pour une raison ! Tu ne la pervertiras pas une fois de plus. Elle est encore si jeune, si innocente, si pure...
Elle caressait le petit bout de tête qui dépassait des langes, sur lequel pointaient quelques cheveux roux. Le vieil homme soupira.
— Je ne peux pas.
— Pardon ?
— Non. Je... n'ai pas... je ne peux tout simplement pas. Pardonne-moi s'il te plaît.
Le vieil homme s'adressait au bébé. Il s'avança vers le lit à barreaux comme s'il parvenait à la fin de son pèlerinage. Hélène serra le bébé contre sa poitrine.
— N'approche pas, grommela-t-elle de sa voix voilée par la solitude.
Le vieil homme interrompit sa marche.
— Laisse-moi.
Hélène eut encore un mouvement de recul mais l'expression de son visage la trahissait.
— S'il te plait.
Il dût forcer un peu pour dénouer l'étreinte avec laquelle Hélène serrait le bébé contre sa poitrine mais elle finit par céder.
— Pourquoi fais-tu cela ?
— Qu'est-ce que tu veux dire ?
— Pourquoi faut-il que tu viennes mettre la pagaille dans ma vie, une fois de plus, quand je commençais à peine à me remettre de la dernière fois, il y a vingt-deux ans ?
Sa voix se brisa quand elle évoqua le passé. Le vieil homme la regarda longuement. Ses yeux se remplirent de larmes également –c'était la deuxième fois cette soirée- quand il songea à ce qu'il voulait dire.
— C'est elle... Je n'ai fait que l'accompagner, mais elle n'est pas au courant.
Il baissa les yeux sur la petite créature qu'il tenait dans ses bras.
— C'est elle qui a choisi de revenir, à ce moment... Elle a voulu le faire. Je n'ai rien pu faire pour l'en empêcher.
— Comment ça ? Faire quoi ?
— Je t'expliquerai ça plus tard. Tu étais en retard toi, tu le sais ça ? chuchota-t-il en faignant de gronder le bébé qu'il berçait doucement.
Le bébé hoqueta joyeusement en secouant les mains.
— Elle a tes yeux, Hélène. Et tes cheveux. Tu verras en grandissant comme elle va te ressembler. C'était dur là-bas, elle me rappelait sans cesse ton visage...
— J'espère au moins qu'elle n'a pas hérité de ton sale caractère.
— Je ne parierais pas là-dessus si j'étais toi.
Hélène rit doucement tout en regardant tendrement l'enfant qui se trouvait entre eux.
— Comment se porte Séraphine depuis tout ce temps ?
— Mieux que moi. Elle est devenue une jeune femme brillante. Elle est en doctorat d'archéologie à Reims, sa thèse est bientôt finie.
— Qu'est-ce que ça lui fait maintenant...
Il regarda sa montre à gousset, fronça les sourcils en signe d'intense réflexion.
— Vingt-cinq ans ?
— Pas encore, en juillet.
— Elle se souvient ?
— Non, pas à ma connaissance. Et j'ai enlevé toutes les photos des albums. Elle n'a de souvenir ni de toi, ni de Sarah.
Le vieil homme soupira en regardant de nouveau le bébé qu'il tenait.
— Si tu veux, tu peux rester un petit bout de temps à la maison. Je ne sais pas si tu as quelque part où aller...
Le vieil homme leva les yeux pleins d'espoir vers Hélène.
— Juste le temps que tu trouves une autre solution, ajouta Hélène avec précipitation.
— Oui, oui bien sûr, je comprends ! Alors j'accepte volontiers.
— Et puis, comme ça, tu pourras profiter un peu de Sarah...
— Et de toi, renchérit-il.
Le regard réprobateur d'Hélène fut sa seule réponse.
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Coucou tout le monde !!!
On a passé la barre des 500 je suis trop contente ! Merci d'être là et de me lire, j'espère que ça vous plait toujours ;)
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Les Passeurs du Temps
FantasySarah est en seconde. Elle vit avec sa mère, sa grande sœur et son petit frère. Elle n'a pas de père. Jusqu'à présent, sa vie est on ne peut plus normale, mais bon ça va changer quoi... comme dans toutes les histoires de ce genre. ...