Chapitre 5: L'origine

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Deux chemins de larmes se dessinèrent sur les joues ridées du vieil homme quand il ferma les yeux. Il replia la lettre et la rangea dans l'enveloppe lavande, qu'il rangea elle-aussi, dans une poche de son veston vert olive.

"Je vais le faire."

Il se répétait cette phrase qui avait été dite moins de deux minutes auparavant, mais il n'y avait pourtant plus personne pour l'avoir prononcée. La jeune fille était partie.

Pour toujours.

Il reprit ses esprits, le vent avait déjà séché ses joues mouillées d'eau salée. Le soleil commençait à descendre derrière les arbres et le ciel s'assombrissait petit à petit, il n'avait presque plus de Temps. Il regarda derrière lui.

Seule une maison vieille et salie par le Temps se dressait péniblement contre le vent du nord, qui fouettait le flan de la montagne au pied de laquelle elle se trouvait. Elle faisait face à un lac, qui se creusait dans vallée. Il paraissait plonger vers le centre de la Terre autant que les montagnes pointaient dans les cieux, comme s'il se trouvait au milieu de deux profondeurs infinies, vers le ciel et vers la terre. Cela faisait longtemps qu'il n'avait pas contemplé ce paysage. Maintenant qu'il l'observait avec attention, il se délectait de sa beauté, réalisant à quel point la nature avait bien fait son travail.

Son poste d'observateur se trouvait en amont, au milieu d'une clairière sur la montagne. En plein centre de la forêt, un cercle parfaitement détaché, parfaitement formé par sept arbres majestueux, parfaitement espacés. La nature en parfaite harmonie.

Il entama sa descente vers la maison, lentement. Il sortit de la clairière d'un pas trainant, luttant contre la gravité pour ne pas être entraîné dans la pente. Il pénétra dans la forêt, clairsemée au début et de plus en plus touffue lorsqu'il s'enfonçait. A présent le jour ne perçait presque plus au travers des arbres, hauts et longs, et larges. Ils ressemblaient fortement aux arbres qu'ils nomment "séquoias" sur l'autre Terre.

Le vieil homme arriva au croisement du Minotaure, et bifurqua à gauche. Il suivit le chemin pendant longtemps à travers la forêt, il dû traverser le territoire des loups pour aller plus vite, il n'avait ni le Temps, ni l'envie de faire un détour. Essayant de faire le moins de bruit possible pour ne pas déranger la meute, il marchait sur la pointe des pieds. C'était bien entendu inutile car les loups ont l'ouïe très fine et de plus le Roi Loup monte constamment la garde. Mais l'homme ne perdit pas la face devant la bête, il la salua poliment en passant, et le Roi Loup lui répondit d'une humble révérence, abaissant sa crinière d'épines jusqu'à ses pattes avant. Et l'homme continua son chemin, heureusement, sans être dérangé.

Le panneau au croisement du Minotaure indiquait moins d'une demi-lieue pour aller à la Chaumière. Alors l'homme marchait d'un bon pas, n'ayant pas de Temps à perdre. Pendant près de vingt minutes, l'homme traversa la forêt et atteint enfin la lisière. Il fila droit vers la maison, coupant le chemin qui faisait une boucle pour s'approcher du lac.

Il arriva sur le perron, monta les trois marches, et se tint devant la grande porte en bois sombre. Il effectua une légère pression sur la troisième planche de bois qui s'enfonça un peu, attendit quelques secondes et on entendit un clic. La porte s'ouvrit. Il entra et ferma la porte tout doucement : une petite fille habillée de haillons dormait sur un canapé en cuir pelé devant le feu de cheminée. Il se retourna pour fermer la porte à clef en appuyant à nouveau sur la planche qu'il avait enfoncée. Au-dessus se trouvait une sorte d'horloge, qui indiquait : 20h36, Samedi 12 Mai 1551. Et une aiguille autour de laquelle se trouvaient plusieurs mots, pointait : L'origine


Il se dirigea ensuite vers la petite fille, prit une couverture et l'installa sur elle. Il s'agenouilla ensuite à côté du canapé, souleva le tapis et le déplaça. Il y avait dessous le même symbole que sur la souche, gravé sur une trappe, découpée dans le plancher. Le vieil homme ouvrit la trappe, et dévoila un escalier en pierre qui descendait au sous-sol. Il se glissa dans l'ouverture en tenant la trappe d'une main, et descendit les marches, l'abaissant à chaque pas. En bas de l'escalier il ouvrit une porte à sa droite et entra dans une salle ronde, haute sous plafond, éblouissante de lumière. La lumière du coucher de soleil perçait à travers les fenêtres gigantesques qui couvraient les murs. De cette pièce au sous-sol.

Il passa à côté d'un puits placé au centre de la pièce, arriva devant les fenêtres. Il ferma les rideaux à l'aide d'une perche longue de trois mètres avec un crochet en métal au bout. Un fois la pièce assombrie il se dirigea vers le puits.

Le puits était noir, insondable. On distinguait sur le bord les même signes qui se trouvent entres les cercles du symbole.

Le vieil homme sortit une montre à gousset de son veston et la détacha de sa chaine argentée. Avec sa montre, il effleura le bord à des endroits précis, exactement comme la jeune femme l'avait fait sur la souche, plus tôt dans la soirée, comme un rituel.

Il claqua des doigts.

Une sphère apparu alors devant lui, surgit de nulle part. Elle flottait au-dessus du puits. Une sphère, une carte. En trois dimensions. Une carte pleine de planètes et de formes à l'intérieur. Et il y avait notamment une minuscule planète qui tournait autour d'une étoile, perdue au milieu du reste.

La planète Terre.

Il appuya dessus.

Soudain, un phénomène étrange se produisit, mais ne sembla pas étonner le vieil homme le moins du monde. Le puits s'éclaira de l'intérieur, d'une lumière vive et bleutée. Il grimpa alors sur le bord du puits et plongea dans le trou, sans hésiter et il tomba dans le vide. En vérité il ne tombait pas, il volait. Et il vola pendant longtemps. « Longtemps »... peut-être pas après tout, puisque là où il était, il n'y avait pas le moyen de mesurer la durée de son vol : il n'y avait pas de Temps. Tout autour de lui était devenu sombre. La seule lumière se trouvait devant lui, et elle commençait à rétrécir. Mais il était totalement serein. Il battait l'air de ses bras d'un tranquille et concentré. Il arriva au niveau de cercle de lumière, qui était un portail, et se glissa dedans. Il se trouva dans la même pièce, les rideaux étaient ouverts et le puits, éteint.

Il sortit de la pièce, remonta du sous-sol, souleva la trappe au-dessus de sa tête et écarta le tapis pour pouvoir sortir. Puis il remit le tapis en place sur la trappe et se redressa. Aucun feu ne brulait dans la cheminée et la petite fille avait disparue.

Il se dirigea vers la porte d'entrée, regarda au-dessus pour vérifier qu'il était resté à la même date, elle indiquait : 22h13, Samedi 12 Mai 2000, et l'aiguille pointait un nouveau mot : La Rochelle, 7bis rue Léonce Vieljeux.

- Bien, se dit-il en ouvrant la porte.

Il ferma la porte derrière lui, et on entendit un petit cliquetis dans les rouages de la serrure.

Il marcha quelques mètres dans la rue d'un pas hâtif et tourna à gauche, rue Verdière. Il s'avança jusqu'au numéro 7, chercha la sonnette, au-dessus se trouvait une étiquette sur laquelle était écrit : Kairos.

Il soupira pour calmer le rythme effréné de son cœur, et enfonça son doigt dans la sonnette.

Les Passeurs du TempsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant