Chapitre 21: La déposition

70 9 0
                                    


                Josiane et Louise étaient assises dans le hall de la brigade de gendarmerie. La jeune fille ne pouvait s'empêcher de regarder son portable toutes les cinq minutes, dans l'attente inespérée d'un signe de vie de sa mère. Un sursaut d'espoir lui parcouru le corps lorsqu'elle reçut un message, puis s'éclipsa lorsqu'elle vit qu'il s'agissait de Pablo.

« Hello, Louise ! Ah d'accord, je comprends mieux ! J'ai cru un instant que tu avais été dévorée par un crocodile, mais après des heures de recherches intensives, j'ai vu qu'il n'y en avait pas dans le sud de la France ! Je suis heureux que tu ailles bien et que tu passes de bonnes vacances ! Ici, rien à signaler, à part de la pluie, de la pluie, et encore de la pluie. Quelques soirées, mais elles ne sont pas les mêmes sans toi ! Quand reviens-tu ? Bise »

Louise rangea son téléphone, sans même répondre au garçon. Elle était exacerbée. Un homme de grande taille, assez balèze, sortit d'un bureau et leur fit signe de les suivre. Une fois dans le bureau, il s'assit devant son ordianteur et invita les deux femmes à en faire de même sur les deux chaises qui s'offraient à elles, en face de lui. La jeune fille observa la pièce. Des photos de délinquants ou de personnes fichées au grand banditisme ornaient les murs.

L'adolescente regarda sa grand-mère. Celle-ci n'en menait pas large et ne pouvait s'empêcher de se gratter les bras. L'homme pianota un instant sur le clavier de son ordinateur, puis leva les yeux vers les deux femmes.

« Donc, si j'ai bien compris, vous êtes ici pour la disparition de quelqu'un, c'est bien ça ? demanda-t-il.

- Oui, il s'agit de ma fille, Laurence Frémont. Elle devait prendre le train de Paris pour nous rejoindre à Avignon, mais elle n'est jamais arrivée, répondit Josiane, un brin nerveuse.

- Nous avons appelé à son travail, elle ne s'est pas présentée à son bureau, alors qu'elle avait une audience l'après-midi, intervint Louise.

- Hum... Très bien, commenta le brigadier en continuant à retranscrire ce que les deux femmes lui disaient sur son ordinateur. Est-ce qu'elle avait un petit copain ?

- Pas que je sache, répondit l'adolescente. Elle était très discrète sur sa vie personnelle.

- D'accord. Avait-elle des raisons de disparaître ?

- Comment ça ? demanda Josiane, piquée par la question.

- Des tendances dépressives, des dettes... Des déceptions...

- Pas que je sache.

- Avait-elle des ennemis ? »

Les deux femmes se regardèrent, interloquées. Devant leur air perdu, l'homme continua sa phrase.

« Je veux dire, elle travaille dans le milieu judiciaire, peut-être qu'un ancien client mécontent aurait pu avoir comme projet de se venger d'elle suite à une affaire perdue... »

Louise et Josiane restèrent interdites devant le représentant des forces de l'ordre, puis l'adolescente secoua la tête en signe de négation.

« Non, elle ne m'a jamais parlé d'un client qui aurait été agressif envers elle, dit-elle.

- Hum... Très bien. Donc, si je comprends bien, votre mère devait se présenter à la gare d'Avignon TGV, mais n'est jamais arrivée. Elle n'est pas non plus allée au travail et a loupé une audience dans laquelle elle devait plaider. Quand avez-vous de ses nouvelles pour la dernière fois ?

- Hier, intervint Josiane. Dans l'après-midi.

- Donc ça fait un peu plus de vingt-quatre heures. Paraissait-elle soucieuse ? »

Josiane resta silencieuse. Elle ne pouvait pas lui dire que Laurence avait décidé de sauter dans le premier train pour pouvoir être auprès de sa fille la veille du jour où les démons allaient sûrement l'enrôler dans leur armée. L'homme continua de fixer les deux femmes, attendant une réponse.

« Non, mentit la grand-mère. Elle était égale à elle-même.

- Très bien. Elle a des amis que nous pouvons joindre ?»

Louise donna les quelques numéros de téléphone et adresses dont elle disposait sur son portable. L'homme continua de pianoter sur les touches de son clavier à une vitesse fulgurante. Il imprima plusieurs feuilles et tendit une copie aux deux femmes, avec un stylo.

« Veuillez signer la déposition s'il vous plaît », dit-il.

Josiane s'exécuta, désemparée. Louise fixa le brigadier avec de grands yeux ronds.

« Qu'allez-vous faire ? demanda-t-elle.

- Nous allons lancer un avis de recherche, contacter son bureau, la SNCF..., bref, nous allons explorer toutes les pistes. Nous vous tiendrons au courant dès que nous aurons de nouvelles informations.

- Que pouvons-nous faire de notre côté ? demanda la vieille dame.

- Rien. Surtout, vous ne faites rien ! Cela pourrait interférer dans l'enquête policière. »

Josiane déglutit. Sa petite fille pouvait la sentir trembler sur sa chaise. Elle lui prit la main pour la rassurer, plongeant les yeux dans les siens. L'homme remercia les deux femmes. Celles-ci sortirent du poste, épuisées. Louise jeta un œil sur sa montre, il était presque vingt-deux heures. La vieille dame resta silencieuse, fixant les SDF qui jonchaient le sol. Les deux femmes gagnèrent silencieusement la voiture et prirent le chemin du retour.

« Elle a sûrement été enlevée, grommela Josiane.

- Et par qui ? Des démons ? Mamie, tu n'es pas sérieuse !

- Et pourquoi pas ? Tout concorde ! Tu dois rejoindre les Enfers demain, d'après les prédictions de maître Guida, et comme par hasard, la veille, ta mère disparait ! C'est quand même clair comme de l'eau de roche !

- C'est une piste à explorer, mais si demain nous n'avons pas de nouvelles d'elle, je t'en prie, mamie, repose les pieds sur Terre et dis-toi qu'il lui est, peut-être arrivé autre chose. J'opte pour le malaise dans le métro.

- Pourquoi dans le métro ? Pourquoi pas ailleurs ?

- Une fois descendus dans les profondeurs, les gens deviennent cons. Elle a peut-être eu un malaise là-bas, et elle s'est faite dépouillée alors qu'elle était inconsciente. Du coup, plus de portable, plus de papiers d'identité, car plus de sac, ce qui expliquerait pourquoi l'hôpital ne nous a toujours pas appelé.

- Tu as vraiment une imagination débordante, jeune fille.

- C'est quand même plus plausible qu'une attaque de démons.

- Ça, c'est ton avis, princesse. En tout cas, demain, tu ne sors pas de la maison. C'est d'accord ? Enfin, de toute façon, je n'ai pas besoin que tu sois d'accord ou non, c'est un ordre. »

Louise resta muette. De toute évidence, elle allait devoir faire le mur. Ce n'était pas comme si elle ne l'avait jamais fait auparavant. Seulement, cette fois-ci, elle allait devoir être plus discrète, et plus prudente. La jeune fille fixa le dehors, pensive. Regardant chaque visage qu'elle voyait sur le trottoir, elle se demanda combien de démons elle croisait à ce moment même sans le savoir. 

L'AppelOù les histoires vivent. Découvrez maintenant