Durant les deux jours qui suivirent, Louise resta enfermée dans sa chambre. Sa grand-mère allait plutôt mal depuis la triste nouvelle, et la jeune fille voulait rester auprès d'elle. Le silence radio de Seth la soulageait, elle n'avait pas à s'éclipser pendant ce douloureux moment.
Josiane passait son temps dans la véranda. Ses occupations vacillaient entre appeler des amis pour avoir de nouvelles informations et fumer des cigarettes. Son air triste ne s'effaçait pas. L'adolescente n'osait pas la déranger. Elle s'évertuait à lui confectionner de bons petits plats avec ce qu'elle trouvait dans le réfrigérateur. De temps en temps, elle voyait son visage s'illuminer, mais il s'éteignait aussitôt.
Louise alla s'asseoir à côté de la vieille dame et lui posa une tasse de café sur la table. Josiane lui jeta un petit coup d'œil plein de remerciement. Si la jeune fille avait bien appris quelque chose ces derniers jours, c'était que sa grand-mère ne savait pas exprimer des sentiments bienveillants, encore moins de gratitude, mais elle pouvait voir dans son regard ce qu'elle espérait entendre de vive voix, et ça lui suffisait amplement. Parfois, de longs silences pouvaient traduire de grands discours.
L'adolescente contempla le jardin. Un essaim de moustiques virevoltait au-dessus de la Sorgues. Le fleuve s'écoulait lentement, scintillant sous le soleil qui était à son zénith.
Josiane se tourna vers sa petite-fille, l'œil brillant.
« Louise, je sais que je ne suis pas quelqu'un de... Comment dire....
- Une vieille dame charmante ? s'enquit Louise en lui adressant un petit clin d'œil amusé.
- Oui, voilà, le cliché de la grand-mère qui est toute gentille et qui fait de bons petits plats...
- Tu cuisines très bien, mamie ! Un vrai cordon bleu !
- Merci... Enfin bref, je sais que je ne suis pas facile à vivre, et même si on se connait à peine, toi et moi, je voulais que tu saches que je t'aime profondément et que, quoi qu'il arrive, je serai toujours là pour toi.
- Oh, mamie... Tu peux aussi compter sur moi. »
Les deux femmes s'enlacèrent longuement. Louise sentit sa grand-mère trembler. Elle semblait retenir ses larmes. Josiane se dégagea de l'étreinte et bu une gorgée de café.
« Albert et Rose vont venir manger à la maison, ce soir, ajouta-t-elle. Si tu veux aller te promener en ville en attendant, tu peux, ne te sens pas obligée de rester ici.
- Oh mais je ne me sens pas obligée ! Je vais rester dans le jardin. Dis-moi, le nego chin, il est toujours utilisable ?
- Ce truc ? Oh oui ! Si tu veux en faire, par contre, tiens-toi bien ! Il se renverse rapidement ! Au fait, demain matin nous irons voir un vieil ami, il est à Avignon. Je vais essayer d'aller me promener cet après-midi, pour me changer les idées.
- Oh mais, tu veux que je vienne avec toi ?
- Non, j'ai besoin de rester seule... Mon estomac crie famine, mais je ne pourrai avaler quoi que ce soit... Il reste du bœuf-carottes dans le micro-onde, si tu veux te le faire réchauffer. Je vais aller m'allonger un instant. »
Sur ces mots, Josiane se leva pour prendre congé. Louise n'avait pas non plus très faim. La jeune fille ouvrit la véranda et se dirigea vers la petite barque attachée au ponton. Elle aventura un pied sur l'embarcation de fortune et faillit tomber dans l'eau. Louise s'assit alors au bord de l'eau et mit les deux pieds dans le nego chin. Celui-ci tangua légèrement, puis se stabilisa lorsque l'adolescente se mit debout. Elle attrapa le partego qui croupissait dans l'eau et le planta dans le sol afin de faire avancer la barque. L'adolescente glissa alors sur l'eau, au rythme paisible du courant. La Sorgue l'emmena dans un coin de nature insoupçonné. Perdue dans la forêt luxuriante, la jeune fille s'allongea dans la barque et se laissa bercer par le chant des oiseaux. Pour la première fois depuis le début des vacances, Louise se sentait apaisée. Elle ferma les yeux et se laissa aller à une douce somnolence.
Soudain, un cri au loin tira la jeune fille de ses rêveries. Elle songea alors à des enfants qui s'amusaient sur la berge. Elle referma les yeux, se sentant en sécurité. Le hurlement se fit encore entendre, plus intensément, plus effrayant. Quelqu'un semblait agonisé. L'adolescente, prise de panique, se redressa, alerte au moindre bruit. Des craquements de brindilles firent bondir le cœur de Louise qui regarda de tous les côtés afin de savoir d'où le bruit venait. C'est alors que le feuillage des buissons remua. Sans attendre, Louise empoigna le partego et tenta de faire bouger le nego chin pour faire demi-tour, mais le contrecourant ralentissait l'allure de la barque. Un grognement résonna alors.
La jeune fille tourna la tête vers le buisson et aperçut deux yeux noirs qui la contemplaient. Effrayée, elle tenta d'accélérer l'allure de son embarcation, en vain. C'est alors qu'une main blanche striée de veines noires sortit de l'eau et saisit le bord de la barque, la faisant chavirer. Louise tomba dans la Sorgue dans un hurlement. Elle fut attrapée par les mollets et tirée vers le fond. Les eaux du fleuve étaient peu profondes, mais assez pour que Louise se noie si elle ne regagnait pas rapidement la surface. La chose qui la maintenait se mit alors à lui rentrer les ongles dans la peau. L'adolescente se retourna, voulant voire le démon, mais l'eau qui lui rentrait dans les yeux ne lui permit pas de distinguer les traits de la bête. Elle put seulement distinguer une crinière de cheveux noires qui ondulait, et deux gros yeux noirs. Les ongles se plantèrent un peu plus profondément dans les jambes de Louise, provoquant une douleur insoutenable. La jeune fille voulut hurler, se débattre, mais l'imposant poids de l'eau qui faisait pression sur son corps l'en empêchait.
C'est alors qu'une fureur s'empara de la jeune fille. Elle sentit une onde de chaleur dévastatrice parcourir son corps, faisant trembler tous ses membres. La jeune fille se sentit habitée par une puissance qu'elle ne soupçonnait pas jusqu'ici. Louise se retourna vers le démon et transperça les eaux d'un coup de pied qui projeta la bête dans les fonds du fleuve, dégageant l'adolescente de son emprise. La jeune fille regagna la surface, reprenant alors son souffle. Elle grimpa aussi vite que possible sur le nego chin et attrapa le partego, prête à reprendre sa course. La main du démon fit alors son apparition. Elle attrapa de nouveau la barque et la brisa d'un coup de poing, projetant Louise de nouveau dans l'eau.
La jeune fille se maintint à la surface, guettant la moindre ombre s'approchant d'elle. Soudain, le démon apparut, lui faisant face. Ses yeux noirs étaient empreints de fureur et de ténèbres. Il saisit Louise par les cheveux et lui tordit le cou en arrière. L'adolescente faillit vaciller sous sa puissance. Elle se sentit d'un coup prise d'une colère incontrôlable. Louise attrapa alors le bras du démon et lui planta ses propres ongles dans la peau. Ce qui semblait être du sang noir coula le long de ses doigts.
« Moi aussi, je peux me battre comme une gonzesse », murmura-t-elle, tel un défi.
Le démon poussa un cri retentissant, furieux. La jeune fille saisit alors le cou de la bête avec les deux mains et exerça une pression dessus. Un craquement se fit entendre. Louise eut, avec stupeur, l'impression de malaxer de la pâte à modeler. Devant elle, elle vit la tête du démon de défaire du reste de son corps et tomber dans l'eau. Le cadavre disparut alors, emporté par les profondeurs du fleuve, laissant derrière lui une marée noire.
Devant ce spectacle terrifiant, Louise se retourna et gagna la rive à la nage afin de sortir des eaux. Elle courut à travers le bois et arriva sur un sentier fréquenté par les touristes. Tous les passants se retournèrent vers la jeune fille, dont les jambes ruisselaient de sang. L'adolescente, prise encore par l'adrénaline, ne ressentait aucune douleur. Elle courut le long du sentier, en direction de la maison. Arrivée chez sa Josiane, Louise poussa un hurlement de souffrance. Face au silence qui régnait dans la demeure, elle réalisa, paniquée, que sa grand-mère n'était pas là.
Sentant alors ses jambes céder, elle se mit à claudiquer vers la cuisine. Des murmures commencèrent à retentir dans sa tête. A bout de forces, la jeune fille tomba sur le sol et se saisit les tempes.
« Allez-vous faire foutre ! hurla-t-elle. Foutez-moi la paix, bordel ! »
Résignée, la jeune fille lâcha sa tête, le front collé contre le parquet. Les murmurent retentirent de plus bel. Elle tourna la tête vers leur provenance et fixa la porte de la cave. De rage, elle se leva et lui fit face.
« Vous allez la fermer ! » cria-t-elle alors en donnant un violent coup de pied sur la planche en bois.
C'est alors que la porte céda et sortit de ses gongs,tombant de tout son poids sur le sol.
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L'Appel
ParanormalAprès une année scolaire assez chaotique, Louise, jeune adolescente de 17 ans, doit passer ses vacances d'été chez une grand-mère qu'elle ne connait à peine. Mais c'est sans compter ses rêves étranges qui la hantent depuis l'enfance et sa rencontre...