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Les journées et les semaines filaient. Elles nous effleuraient comme une brise d'été et s'enfuyaient à une vitesse effrayante. Le temps s'était à présent radouci, il faisait une soixantaine de degrés chaque après-midi et les soirées restaient éclairées jusque dix-neuf heures et quelques. C'était ma période préférée de l'année.

Avec Cullen, on était toujours ensemble. Je ne m'étais pas fait d'autres amis, il n'y avait que lui. Je n'aimais pas réellement les humains, et c'est sûrement parce qu'il n'en était pas réellement un que je ne pouvais plus me passer de lui. On avait pris l'habitude de dormir à la bibliothèque, sur des bancs du campus universitaire, ou encore sur mon canapé, mais on semblait bizarrement refuser de s'assoupir sur un véritable lit.

J'étais retournée une ou deux fois chez Cullen, mais je détestais vraiment devoir entrer dans son appartement. Il me filait toujours la même chair de poule.

Quoi qu'il en soit, il m'avait ce jour-là donné rendez-vous devant une librairie, il disait qu'il avait une surprise pour moi. J'étais ravie, et j'avais passé la journée à imaginer ce qui pourrait bien se passer.

Il était dix-sept heures trente, j'avais quitté quelques minutes plus tôt, nous étions à l'heure précise qui avait été convenue. J'étais devant la librairie, toute pimpante. C'était allumé à l'intérieur et je voyais une femme s'affairer dans les rangées de livres qui devaient puer le neuf. Cullen n'arrivait pas.
J'attendis encore un peu, il devait simplement avoir du retard.

Dix-huit heures, toujours personne.
Cullen n'étais pas du genre à ne pas se pointer à une rendez-vous. Je m'engouffrai dans la librairie et achetai un ouvrage au hasard parce que la couverture était jolie. De retour à mon poste d'observation de la rue, je me mis en tailleur au sol et l'ouvris.

Page deux-cent trente cinq, dix-neuf heures quinze. Silence radio, il ne répond pas à mes appels. La femme ferme sa boutique. Je me défie de lire jusqu'à la page trois-cent.

Page trois-cent, il est dix-neuf heures quarante-cinq.
Je me lève et fourre le bouquin dans mon sac. C'en était assez. J'hésitai  entre rentrer chez moi et aller jeter un coup d'œil là-bas. Je haïssais cet endroit. Mais bon, j'aimais Cullen plus que je détestais son logement.

Je m'y rendis.

Un voiture de police était garée en plein milieux de sa rue et obstruait le passage, je me souviens avoir pensé "ces flics, ils n'en ont rien à faire de rien.".

Les escaliers sales, les marches grinçantes. La lumière qui ne fonctionnait plus. Des frissons traversèrent tout mon corps. Au dernier étage, sous les combles, c'était là qu'il habitait. Je savais qu'il y avait peut de chances qu'il soit là, après tout, mais je voulais y croire. Je ne voulais pas imaginer qu'il ai loupé notre rendez-vous pour sortir simplement faire autre chose. Qu'est-ce que cela pouvait paraitre égoïste! Et pourtant.

En haut, la porte était ouverte. Même défoncée. Avait-il défoncé la porte de son appartement? Et pourquoi? Mon instinct me cria de m'enfuir à toute jambe, mais mon coté théâtral me suppliait d'aller voir à l'intérieur.

"Mais voyons, bécasse! Pour une fois qu'il pourrait t'arriver quelque-chose d'excitant! Vas-y!"

J'y suis allé, je m'apprêtais à m'engager dans le petit couloir qui menait à l'unique pièce de l'appartement, prête à m'enfoncer dans la noirceur de cet univers parallèle, lorsqu'une voix me stoppa nette dans mon élan de courage.

"Ne faites pas un geste! s'était exclamé celle-ci."

Trop tard! Mes jambes avaient tracé jusqu'à l'intérieur. Ma tête percuta de plein fouet un blouson de police, l'homme me plaqua violemment contre un mur et me protégea de tout son corps. Sonnée, je m'écroulai au sol. Quelques instants plus tard, j'étais à nouveau sur pieds. C'est à ce moment que je pris le temps de regarder ce qui se passait réellement autour de moi.

Il y avait quatre ou cinq policiers avec des armes en plastique ou ne sais quoi à la main, et il y avait ce pistolet de métal qui brillait. Je le voyais scintiller. Il avait l'air brûlant comme le soleil. Et qui le tenait entre ses mains, appuyé sur sa tempe et le doigt sur la détente?

Cullen.

A ma vue, il s'écria seulement quelques mots en gesticulant, ce qui suffit aux hommes présents pour ouvrir le feu. Sur ses jambes. Mon petit ami tomba comme une mouche, mort de peur.
Non, d'une balle dans la tête.
Mort d'un balle dans la tête.
Sa propre arme s'était déclenchée, il était décédé. Tout était allé si vite. Mon coeur avait lâché pendant une seconde, j'avais essayé de suivre ce qu'il s'était passé, mais impossible.

La seule chose que j'arrivais à ressentir, c'était de l'incompréhension. Et de l'effroi.

Je voulais courir vers lui, comme dans les films tristes, mais mes pieds en étaient incapables. Je voulais hurler à la mort, comme dans les films tristes, mais ma gorge en était incapable. Une personne me prit dans ses bras, sans même que je ne sache qui c'était, alors des larmes coulèrent en torrent sur mes joues.

"TRISTEN! J'AI ETE ACCEPTE A LA FAC!"

Ses derniers mots résonnaient en moi comme des coups de tonnerre.

Fade, volume 1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant