Passé et regrets

Ahodren

Je fixe la ligne d'horizon derrière les arbres. J'observe le soleil qui atteint presque son zénith qui indique que c'est bientôt l'heure d'emmener les pensionnaires manger.

Je soupire, ma sur me manque. Je pense en permanence à elle et à mes neveux. Ma seule véritable famille, mes parents m'ayant un peu reniés à cause de mon choix de carrière.

Eowyn qui était à quelques pas de moi, en train de rire avec Vitalie, lui fausse compagnie pour venir se glisser à côté de moi. Son action pour venir à ma rencontre m'étonne : nos rapports sont encore tendus. Depuis tôt dans la matinée, je ne la lâche pas d'une semelle mais nous avons à peine échangé quelques mots. Malgré tout, ce geste ne me dérange pas plus que ça, il éveille plutôt ma curiosité...

- Ça va ? T'as l'air songeur, me demande-t-elle.
- Ça peut aller, fis-je en haussant les épaules. Qu'est-ce que tu veux ?
- Mais rien, je viens seulement faire la conversation à mon gardien préféré !

Une pointe d'ironie perce dans sa voix : j'aurais dû me douter qu'elle se foutrait de moi !

- D'où t'es venu cette idée plus que surprenante ?

- Je sais pas... J'ai eu pitié de te voir tout seul dans ton coin alors, je me suis dit que c'était l'occasion de mieux se connaître !

- Tu t'es cru dans un speed dating ? Tu es en prison et je suis ton supérieur !

- Je sais ! C'est juste qu'on passe notre temps à s'embêter et jusqu'à maintenant, ça me dérangeait pas plus que ça, sache le ! Mais vu qu'on va être obligé de se supporter jusqu'à ce qu'ils retrouvent Selinda et Aelie, je me suis dit que ça serait idiot de pas se parler, tu vois ? fait-elle d'une voix assurée.

- Ouais. Mais je te préviens, tu as eu l'idée donc tu entames la conversation !

- Ok, ok, fait-elle en levant les mains devant son visage en signe d'abdication. Comment t'es arrivé ici ? Question simple pour un garçon simplet... euh, je veux dire simple !

- Mes parents sont très conservateurs et friqués. J'ai grandi dans le Texas, dans une immense maison. Né avec une cuillère en argent dans la bouche, je n'ai eu aucun mal à entrer dans une grande université. Mes parents m'ont convaincu de faire des études de droit comme ma sur aînée Telya et de devenir un grand avocat comme mon père. J'ai entamé ma première année mais j'ai vite su que ça ne serait pas un métier pour moi. Je me suis souvenu que souvent, lorsque j'avais une dizaine d'années, mon père nous emmenait ma sur et moi au tribunal avec lui.

Un jour, un fou furieux est passé à la barre, j'étais dans les gradins non loin de lui et il s'est jeté sur moi en m'agrippant par la manche. Je me souviendrais toujours de ses yeux : ils étaient désespérés et furieux. Avant qu'il me fasse du mal, un gardien s'est jeté sur lui et l'a maîtrisé. C'est grâce à cet homme que j'ai décidé de faire ce métier. J'ai choisi d'exercer pour les condamnés plutôt que contre eux. Démission de la prestigieuse université, déshériter par mes parents, je me retrouvais dans une école de formation pour surveillants pénitentiaires. C'est la première prison qui m'a accueilli à la sortie de mes études et j'ai pas prévu de partir.

- Que devient Telya, ta sur ?

- Elle est mère célibataire et élève mes petits neveux Aîdan et Rubben. Elle exerce dans le comté de Dale en Alabama. Elle est la seule à m'avoir soutenue dans mes choix... C'est la femme la plus courageuse que je connaisse.

- Elle a l'air forte... J'aime ça !

- A moi, de te poser ma question maintenant, fis-je remarquer.

-Ah non ! C'est une question chaque jour et on alterne.

- Tu me l'avais pas dit !

- Je viens de le décider, fait-elle, un sourire satisfait sur les lèvres, en tournant les talons pour rejoindre Vitalie.