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Les mois qui ont suivit se sont ressemblés. Au début, Harry a continué à enseigner à l'école, il a continué à sortir comme il le faisait avant, on a même continué nos sorties mensuelles aux musées. Je crois que c'est ce qui lui faisait le plus plaisir, ces sorties où il n'avait pas besoin de se cacher ou de mentir, où il pouvait être simplement lui-même, où on pouvait simplement être nous deux.

Ces moments, c'est ceux que je préférais aussi pendant cette partie de nos vies, ils contrastaient avec nos instants de blues. Mais j'imagine que c'est pareil pour tout le monde d'une certaine manière. J'imagine que même si on n'est pas malade, on a des instants plus durs et plus tristes que d'autres, des instants où on remet tout en question et où l'on doute du but de nos vies... C'était comme ça pour nous aussi, mais en plus amplifié certainement.

Et je me souviens d'un de ces moments en particulier, un de ces moments qui lui a fait mal et qui m'a brisé le cœur.

Il est venu vers moi un matin, j'étais dans la cuisine, je rangeais la vaisselle dans les placards, et ça faisait déjà un petit moment qu'il s'était adossé contre l'inox de l'évier. Il ne bougeait plus mais soudainement, ses bras se sont croisés et en relevant le regard, j'ai vu qu'il portait un bonnet gris foncé, un de ceux qu'il avait déjà avant la maladie. Il se mordait la lèvre.

C'est à ce mouvement que j'ai compris qu'il était tendu et qu'il hésitait réellement à parler. Mais je savais aussi que si je m'arrêtais, il ne pourrait pas se résoudre à lâcher le morceau. Alors je n'ai pas refermé le lave-vaisselle et j'ai attrapé deux nouveaux verres à pieds.

Et il ne lui a pas fallu plus de quelques secondes pour se décider :

_Peut-être que je devrais préparer mes obsèques.

Les verres m'ont échappé et un éclatement de cristal a répondu à sa question. Je n'ai rien ajouté, je considérais que la destruction de notre plus beau service à vin était assez équivoque, et j'avais raison. Je me suis simplement tourné vers lui et mes yeux se sont écarquillés.

_Réfléchis Lou, il a donc protesté doucement, ce n'est pas une si mauvaise idée. Imagine que quelque chose –

_Tais-toi.

C'est tout ce qui a pu sortir de ma bouche pour l'empêcher de continuer sa phrase et malgré la réplique qui pourrait paraitre cinglante, mon ton, en revanche, était semblable à une supplication. Je ne sais plus si ma voix a craqué ou si ma vision s'est immédiatement floutée, mais ce que je savais pertinemment, à cet instant, c'est qu'il était impossible pour moi qu'il pense de cette façon. Alors j'ai répété :

_Tais-toi Harry parce que tu ne vas pas mourir, OK ? Tu ne vas pas mourir. Pas cette fois, pas pour ça.

J'ai aussitôt attrapé ses mains et j'ai cherché ses yeux qu'il fixait obstinément sur le sol. Je n'ai pas cédé, j'ai tenu position jusqu'à ce qu'il se décide à me regarder, et je l'ai dis à nouveau.

_Tu ne vas pas mourir, Harry.

Il y avait de la force dans mes mots, je voulais qu'il la sente. Je voulais qu'il comprenne que même s'ils semblaient irrationnels, je les pensais plus fort encore que je ne l'avais jamais fait. Il n'allait pas mourir, et c'était une certitude.

Et allez savoir si c'est pour me punir de mon zèle, mais dans les deux semaines qui ont suivi, son état a empiré. Ce n'était pas la maladie, c'était le traitement. Des effets secondaires à retardement, les médecins ont appelé ça. La chimio l'a rendu malade et il a été hospitalisé d'urgence pendant quelques temps. Il vomissait, il ne tenait plus debout, il était constamment fatigué... C'était la première fois que ça arrivait alors qu'on avait commencé le traitement depuis des mois ! Je ne comprenais plus rien, j'étais perdu et impuissant.

Wasn't Expecting That.Où les histoires vivent. Découvrez maintenant