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J'ai ris. Évidemment que j'ai ris. Ce n'était pas possible ; ils avaient du se tromper, c'était évident. Ils ne pouvaient pas parler d'Harry.

_Non, nous on vient parce qu'il a une angine, j'ai donc cru bon de préciser.

Seulement il n'y avait pas lieu de préciser. Le médecin ne s'était pas trompé de patient. Il ne s'était pas trompé de diagnostic. Et il m'a sourit tellement tendrement et tristement à la fois que j'ai su qu'il en était malade pour nous. Mais ce n'était pas à lui que l'on venait d'apprendre que l'homme de sa vie avait un cancer, que l'homme de sa vie allait peut-être mourir.
Sa compassion ne me faisait rien, elle ne me servait à rien.

Et Harry, lui, était de marbre. Il ne bougeait plus, il était assis sur son siège et il regardait un point fixe et invisible face à lui. C'était comme si le temps s'était arrêté. Comme s'il était déjà parti.

J'ai eu envie de vomir.

Ensuite, on nous a expliqué tout un tas de choses sur la maladie : les symptômes, les causes, la fréquence, les traitements... mais je n'ai rien écouté. Je n'ai absolument rien entendu de tout ce qu'il a dit. Aujourd'hui, je sais, je connais tout ça par cœur parce que je les ai appris avec le temps. Mais quand on est sortis de l'hôpital, je me sentais juste... creux. Mon propre corps sonnait creux. J'étais vide.

Je ne sais plus combien de temps on est restés dans le bureau, ou dans l'hôpital tout court au final ; mais il était très tard quand on est rentrés. On n'a pas décroché un mot du trajet, c'était la première fois qu'on était aussi silencieux. Habituellement, Harry faisait toujours l'idiot, il conduisait avec une main dans la mienne ; je conduisait en l'écoutant faire un karaoké sur n'importe quel album se trouvant dans la voiture.
Mais ce soir là, malgré le fait que je sois celui qui tenais le volant et qu'un album des Beatles jouait pratiquement silencieusement, il n'a pas chanté.
Et moi, moi je regardais simplement la route, la radio était éteinte et la vitesse à laquelle on roulait rendait les lampadaires de la rue flous.

Pour être parfaitement honnête, je déteste me souvenir de ce jour. Et je déteste en parler encore plus.

Je ne sais plus vraiment ce qui s'est passé ensuite, et je n'ai pas réellement envie de m'en rappeler non plus. On a simplement dû aller se coucher, et encore une fois, je crois qu'on ne s'est pas parlé.

Je me souviens simplement qu'une fois la lumière éteinte, une fois qu'on était tous les deux sous la couette, allongés dans notre lit, je me suis tourné vers lui et je l'ai pris dans mes bras en le serrant le plus fort possible. Je voulais qu'il reste là, qu'il reste dans mes bras.

Je voulais écouter son cœur battre contre mon oreille. Je voulais croire que tant qu'il serait là, contre moi, tant qu'il serait dans mes bras, il serait protégé. Il ne lui arriverait rien. Je voulais croire à ça.

Je voulais nous enfermer tous les deux dans une petite bulle qui nous éloignerait de cet espace temps, de tout ce qui nous tombait dessus. Je voulais vraiment croire que c'était possible. Comme au temps où j'étais enfant et que je serrais mon doudou pour éloigner les cauchemars.

Alors je l'ai serré jusqu'à lui en rompre les os, et il n'a rien dit, il s'est contenté de me serrer en retour, d'enfouir son visage dans mon cou et on est restés comme ça.

On n'a pas dormi.

On est restés l'un contre l'autre, sans parler, à respirer, à regarder le plafond, et les étoiles par la fenêtre qu'on n'avait pas fermée.

On n'a jamais fait de déclaration officielle sur la maladie d'Harry. Premièrement parce qu'on a jugé que vous n'aviez pas à savoir, et deuxièmement parce qu'on avait peur que vous ne retourniez tout. Peut-être qu'on se trompait, me direz-vous, peut-être que vous nous auriez laissé tranquille définitivement, que ça vous aurait attendri et que vous nous auriez laissé tranquille. Peut-être oui. Mais on ne saura jamais.

Wasn't Expecting That.Où les histoires vivent. Découvrez maintenant