L'espoir est un tueur en série.

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     Ne trouvez vous pas dingue la capacité que nous avons, nous les hommes, fragiles petites créatures, de continuer d'espérer même lorsque nous sommes trop faible pour savoir orthographier ce mot correctement. Lorsque tout semble perdu, on ne fait plus qu'une chose : on espère. Sérieusement, tu peux être le plus grand pessimiste de la planète, sur ce point on est tous des cinglés sado-masos drogués à l'espoir. C'est humain.

     Ces derniers jours, j'ai tellement espéré que j'en ai des courbatures.

J'ai espéré trouver un endroit sûr où me reposer. Espoir aussi vain que la sécurité à notre époque. Ces choses savent courir, ramper, grimper, mieux que des athlètes dopés. Ils sont drogués à la chaire humaine, jamais rassasiés, et prêt à tout pour avoir leur dose. J'en ai même vu un s'arracher le bras pour atteindre sa proie.

J'ai espéré trouver de quoi manger. Et il a fallu apprendre à se contenter de quelque baies assaisonnés de notre imagination et d'une bonne dose de conviction pour les faire passer comme du poulet, et quelque fleurs que Véro disait comestibles en guise de gratin. Un vrai festin, qui nous laisse vide de force. Le point positif, on maigrit vite, on devrait être moins lourd pour nos jambes, donc plus rapide. Or, j'ai l'impression de peser des tonnes, chaque effort m'arrache un râle de douleur que j'essaie d'étouffer, je sais qu'il en va de même pour les deux autres, et je ne veux pas être un poids. Peut-être que ce soir on trouvera de la viande. A ce stade, je me demande même quel goût peut bien avoir le ragoût de rat. Autre point positif, avec la sous-alimentation, bye-bye menstruation ! Toujours bien de ne pas être un pot de ketchup ambulant quand tu es encerclés d'êtres qui te prennent pour des spaghettis. Et merde, j'ai de nouveau faim, même si mon ventre à comprit depuis longtemps que ça ne servait plus à rien de gargouiller.

J'ai espéré aussi trouver de l'eau. Vœu comblé au bord d'une rivière que nous avons presque asséchée. L'espoir est revenu aussi rapidement que nos gourdes se sont allégées. Cycle éternel.

Je garde espoir que tout ce cirque prenne fin. Idiot n'est-ce pas?

Pour l'instant, tout ce que j'ai se résume à des mollets douloureux, un mal de crâne de chantier, trois ou quatre coups de soleil, des dizaines de piqûres de moustiques, une sérieuse déshydratation et une curieuse envie de mordre le bras de Véro endormie...

Il n'y a pas à dire, la vie au grand air, il n'y a que les écrivains qui savent rendre ça enviable. En réalité, c'est invivable. Remercions l'évolution, les progrès techniques et tout le bordel qui nous permet d'éviter de se soulager sur ces satanées plantes qui provoquent de l'urticaire. Et oui, ça sent le vécue en effet. Et ce n'est pas agréable.


     Être de garde, ça craint. 

Tu es crevée, tu as froid, tu as peur et t'es seule, ce qui renforce la peur et la fatigue. Les autres mettent leur vie entre tes mains, chaque buisson devient un bouffeur d'organe express, et chaque clignement de paupière semble durer trois heures. Je sursaute au moindre battement d'aile d'un papillon, en essayant de ne pas penser à la vie d'avant où tu pouvais l'observer voler des heures insoucieusement, sans avoir à guetter les signes avant coureur des choses qui veulent ta peau, au sens littéral du terme. Je pris même un Dieu auquel je ne crois absolument pas pour que rien de dramatique ne se passe, encore.

Je dois avouer que je ne me sens pas plus rassurer lorsque je ne suis pas de garde. La confiance, ça n'a jamais été mon fort. Alors, comment sombrer paisiblement dans les bras profonds d'un Morphée candide en sachant que ma vie dépend de la capacité qu'à Nox à rester éveillé ? Le même Nox qui dormait comme une souche alors que je jouais de la batterie à quelque pas ? Hors de question. Et pourtant, pas le choix. Quand il n'y a plus de sécurité, il n'y a plus vraiment de liberté non plus, seulement des nécessités.

      Je n'ai jamais eu de chance. C'est un fait. Je l'ai entendu avant de le voir. C'était probablement un gosse, je devais avoir au moins deux têtes de plus que lui. Il était lent, plus lent que moi au crosse du collège où je mettais un point d'honneur à arriver dernière. Lui, il avait une excuse, une de ses jambes était pliée dans une position humainement improbable, a la fois retourné, et l'os du genoux transperçant la peau, seul rempart contre la perte de la moitié de son membre. Si on était dans une série, j'aurais félicité les maquilleurs. Là, j'avais juste envie de vomir.
Ça me rappelait la fois où ayant voulu éviter la chute mortelle de mon ordinateur, je trébuchai dans les escaliers laissant ma jambe gauche se coincer entre les barreaux. Ce jour-là, je m'étais évanouie, aujourd'hui j'en avais pas le droit.
J'évaluai la situation vite fait. Il était seul, faible, blessé autrement dit une prise facile. Je me levai et allai à sa rencontre avant qu'il ne réveille les deux autres. Il me fallu moins de cinq minutes pour le rejoindre, et trente secondes pour lui trancher la tête de ma hache. Il ne résista pas. C'était comme mettre fin au souffrance d'un animal à l'agonie. Un sourire de satisfaction vint se peindre sur mon visage. J'avais accompli ma mission. Et pourtant.

     Je ressentis le cri comme un coup de poignard. Je fis le volte-face le plus rapide de l'histoire de l'humanité à inscrire dans le livre des records. Nox courrait déjà vers moi, en tenant ou plutôt tirant la main d'une Véro paniquée. Derrière eux, une horde se dessinait, des bestioles bouffeuses d'organes bien plus rapide que mon petit camarade dont la tête avait encore des pulsions nerveuses à mes pieds.
Je n'avais pas besoin d'entendre ce que Nox me criait pour le comprendre: COURS ! Je ne me le fit pas dire deux fois, mes jambes se mirent en route presque instinctivement, je leur obéissais. Je n'aurais jamais pensé que mon cerveau puisse réagir aussi rapidement, ce qui m'aurait bien servi en calcul mental d'ailleurs. Pourtant, il semblait être aussi vide qu'une boite de conserve qu'un clodo affamé aurait laissé derrière lui après avoir tout engloutit. J'avais envie de me mettre en position latérale de sécurité en attendant qu'un gosse se serve de la conserve inutile que je suis comme d'un ballon de foot improvisé. Mais je savais que les vermines qui me poursuivaient étaient affamées elles-aussi et n'allaient pas donner leur part au chien pour dévorer ma carcasse.
Véro poussa un nouveau cri apeuré, Nox accéléra. Il fallait trouver un refuge vite.
La situation devait être vraiment désespérée parce que j'avais l'impression que l'idée qui venait de s'infiltrer dans le néant de mon cerveau brillait comme une lampe torche pour guider notre chemin. Je me mis en position d'éclaireuse en priant pour qu'ils comprennent que j'avais un plan pour semer ces estomacs sur pattes.
Espérons que mon idée soit bonne.
L'espoir comme seul chance, encore.

Une Cinglée parmi les ZombiesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant