La peur des Blouses Blanches.

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     On fit tellement de détour pour semer les hommes en blouses blanches que je fus surprise qu'on ne se soit pas perdus. J'avais le tournis et Hell crachait ses poumons.

"Putain de merde, marmonna-t-il."

On marchait à présent dans la forêt en direction de notre cabane et on revenait les mains vides, honteux et en sueur. Appréhendant d'avance les regards désapprobateurs de Nox et de Vero, qui parfois nous prenaient vraiment pour des ratés, ou des poids lourds... Euh non, des points morts... Enfin je sais plus, une expression dans le genre. Je me sentais un peu hors-jeu, hors-sujet et tout ce que vous voulez. Bref, c'était pas la joie. Et peu importait que le printemps commençait à reprendre ses droits, moi je puais la poisse. Et ça ne sentait vraiment pas bon.

"Tu me laisses quelques minutes d'intimité ? demandais-je à Hell.

_ Pourquoi ? 

_ J'ai le cigare aux bords des lèvres, dis-je d'un ton badin."

Et sans lui laisser le temps de répondre un truc probablement très spirituel du style "bon caca", je partais un peu plus loin me mettre à l'abris des regards, derrière un tronc d'arbre devenu mon nouvel meilleur ami. 

J'aurais mille fois préféré qu'Hell me voit soulager mon intestin que de me voir roulée en boule, la tête sur les genoux, les bras autour de ses mêmes genoux, et les larmes roulants sur mes joues. Je puais la nullité aussi. J'avais souvent eu l'habitude de ne pas être à la hauteur, que ce soit en taille ou niveau scolaire, niveau sociale, niveau politesse ou autre. Mais je détestais décevoir Nox. 

Vous savez ce moment où vous avez envie d'éternuer mais vous n'y arrivez pas, vous vous contentez d'avoir le nez qui picote de frustration ? Et bien, je ne saurais pas mieux vous décrire ma vie en ce moment. Mon nez me grattais et c'est comme si je n'avais plus de main. J'étais assise là, avec mes larmes silencieuses, mes doutes, mes peurs et je ne pouvais rien faire d'autre. Je m'inquiétais. Je comprenais enfin ce que ça signifiait de vivre en adulte dans ce monde où on n'avait pas d'autre choix. Et ça me terrifiait de ne pas être à la hauteur. J'étais trop petite pour attraper les boites de gâteaux au dernier rayon des supermarchés, et bien sûr je voulais toujours ces gâteaux là, et Nox était obligé de me porter. Mais aujourd'hui, devant les hommes en blanc, je comprenais enfin que je n'avais pas le droit de toujours espérer que Nox soit là pour me faire la courte échelle. 

Hell vint me rejoindre. Il avait du s'inquiéter du temps que je mettais pour faire ma petite affaire. Il s'approcha de moi, et passa ses mains autour de mes épaules.

"C'est pas bien de me mentir gamine, dit-il."

Et je me laissais un peu aller à pleurer dans ses bras. Après tout ça sert aussi à ça les amis, à te gratter le nez quand tes mains sont prises.

"ça va aller, demanda-t-il tandis que j'essuyais mes larmes."

Je hochais la tête. Et on regagna la cabane en silence.


     Vero se tortillait sur le sol, et elle faisait nerveusement craquer ses doigts. Je n'osais pas l'avouer, mais honnêtement, la vie à la sauvage lui avait fait du bien. Elle avait maintenant un corps d'athlète à force de courir comme une dingue et d'économiser sa nourriture, ses cheveux blonds bien qu'un peu gras, lui donnait une allure de sirène. Une sirène qui pourrait sans doute nager dans le bleu de ses grands yeux. Le bémol, le verre droit de ses lunettes était fissurés, si bien que je me demandais comment elle pouvait voir. Voyait-elle le monde coupé en deux ? Sa cheville était dans une attelle improvisée depuis une malencontreuse chute. Et même l'acné sur son visage embellissait sa tête d'ange, l'acné lui donnait de la profondeur, du caractère même. La Zombiecalypse devait rendre les gens beaux sans doute, pensais-je. Surtout lorsque les trois quart de la population se promène les tripes à l'air et le regard vide de toute expression. Les vivants ne pouvaient qu'être de magnifique créature en comparaison.

Une Cinglée parmi les ZombiesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant