J'oublie de tourner sept fois ma langue.

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    Tout le monde dormait. Ou plutôt ils faisaient semblant. Semblant de ne pas être en train de refaire ce même cauchemar. Semblant de ne pas se faire le film de leur ancienne vie dans leur tête. Semblant de ne pas pleurer. Semblant de ne pas penser à ceux qu'ils aiment. Semblant de ne pas avoir peur. Semblant de dormir.

Ne pouvant pas me concentrer pour compter les moutons, j'en imitais un. Je faisais comme les autres. Je restais stoïquement allongée, les bras le long du corps, les yeux grands ouverts à l'instar de mes oreilles guettant le moindre bruit. Chaque particule de mon être en alerte "au cas où". On ne sait jamais quand on aura besoin de courir. Quand on aura besoin de fuir. 

C'est pourquoi les lacets de mes chaussures sont bien fait. Je les revérifie dès que je peux. Au début de tout ce merdier, j'ai vu un gars tomber bêtement à cause d'un lacet défait. Et même moi je sais que à notre époque tomber rime parfaitement avec se faire bouffer. Les détails peuvent te conduire à la mort. 

Les cheveux aussi ! Les trois quart des filles, et des mecs rebelles, se les ont finalement coupé. N'est-ce pas stupide de mourir juste parce qu'un zombie a attrapé ta tresse, ou qu'une de tes mèches s'est coincée dans une branche? Je me fais d'ailleurs souvent engueuler à cause de la couleur soit disant trop voyante de mes cheveux ! Elle est pourtant bien moins voyante que le mois dernier. Le vert est devenu trop pale, et mes racines châtaines commencent à prendre le dessus. On pourrait penser qu'avec des zombies dans les rues, j'aurais enfin la paix niveau remarque sur mon physique, bah non ! A croire que nous avons pas de plus gros problème qu'une couleur de cheveux hors normes ! Puis, moi, au moins j'ai adapté le style camouflage militaire, je leur réponds, avec mes cheveux je passe bien plus inaperçue au milieu de la forêt, que les blondinettes et les rouquines. Je ne sais pas trop si mon argument a fini par les convaincre, mais ils ne me font presque plus de remarque. VICTOIRE !

     144, c'est le nombre de carreaux au plafond de la salle commune où nous dormions tous. Il n'y avait que cent lits. 71, c'est le nombre de lits occupés. Vous comprenez sans doute pourquoi je pense qu'il doit bien y avoir des survivants quelque part. Ailleurs qu'ici. Comment pouvons nous passer de 7 milliard à 83 ? Oui, nous sommes 83 en comptant ceux qui ont leur tour de garde en ce moment même. 

Pour l'instant, les enfants, et même si j'ai seize ans je suis considérée comme une enfant, n'ont pas de tour de garde. Mais tous les matins, nous allons dans la cour entourée de murs et de fils barbelés, et de tour de guet, pour nous entraîner. On nous apprend à nous battre, se défendre, trancher des têtes, être endurant. Et l'après-midi, on nous enseigne des trucs de survies basique, du genre reconnaître le son d'un zombie, grimper dans un arbre, chasser, pêcher, quelles plantes servent à quoi... Les adultes disent que c'est "si" un jour nous sommes séparés du groupe, où "si" nous avons besoin de nous défendre seul. Je pense qu'ils disent "si" plus pour se rassurer eux même que nous, on sait tous que les murs et les barbelés n'éloigneront pas ces bestioles cannibales très longtemps. Ce n'est pas "si", c'est juste une question de temps. Mais "si" c'est toujours plus rassurante que "quand". Je comprends que ce doit être dur de se dire qu'un jour ton enfant va devoir affronter le monde en dehors des remparts sans ta protection. Aussi dur que de se demander si un jour tu reverras tes propre parents, et si ce jour là, ils te serreront dans leur bras parce qu'ils t'aiment ou parce qu'ils ont faim...

Nox n'était pas considéré comme un enfant lui. Oui, je sais, moi aussi j'ai crié à l'injustice! Mais, il parait que en temps de zombiecalypse, (c'est un nouveau mot que j'ai inventé pour éviter d'avoir toujours à dire apocalypse zombie, plutôt cool non ?) bah, la parité homme-femme ce n'est plus vraiment de l'ordre des priorités. Et, ces babouins de militaire avaient la tête de ceux avec lesquels ça ne sert à rien de militer pour défendre ses opinions. Alors j'ai avalé bien sagement ma salive, me suis rappelée comment respirer, tout en m'assurant que ma culotte était toujours sec, et je suis donc allée aider les femmes à préparer les lits de camps pour les réfugiés.

Une Cinglée parmi les ZombiesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant