L'heure a sonné

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PDV Ecclésia

« Moi non plus, je ne comprends pas ».

J'ai l'impression d'errer dans les allées sinueuses des relations amoureuses, bardées de collines toutes plus insurmontables les unes que les autres. Au centre de la plaine culmine le Mont Alicante, où l'herbe troque sa rouille infernale contre une teinte plus verdoyante. Plus vivante.

Seulement, ce monde est encore loin d'être « paradisiaque ».

Le Mont Alicante, en plus d'être immense et composé de pentes et de rochers abrupts, est chapeauté par une épaisse couche de neige. Kyra. Blanche. Tenace. Belle. Elle brille légèrement au contact du Soleil, astre légendaire n'ayant pas même le courage de la défier, de l'ébouillanter afin qu'il n'en reste plus qu'une pathétique coulée d'eau boueuse.

Cette neige a depuis bien longtemps élu domicile en son sommet, source de froideur, de confort et d'étreintes perpétuelles. Neige et roches s'imbriquent parfaitement, reflétant un paysage à couper le souffle. Que faire, dans cette situation ? Hurler dans la vaste plaine puis entendre ma voix résonner en échos ridicules ?

Si ma voix avait été perceptible, et si la neige Kyra avait été moins résistante, j'aurais provoqué une avalanche. Avant d'avoir remarqué la neige, évidemment, j'ai dû me retrousser les manches, attraper mes pioches et tenter de creuser la roche du Mont Alicante pour tenter de le gravir. Lorsque la pierre refusait de céder, c'était au tour de mes jambes de s'écorcher, ou à la pioche de se fêler. Alors, je dégringolais et me retrouvais au top départ, spectatrice de ma propre impuissance.

Il y a toujours eu une faille. Depuis que j'ai accepté notre lien d'âme-sœurs, j'ai désespérément tenté de le monter.

-Je m'en serai souvenu, rétorque la voix graveleuse d'Alicante.

Le pick-up traverse un nid de poule, qui me projette contre l'une des parois de l'arrière du véhicule. Le cœur battant, je relève la tête, dégage les cheveux qui pendent devant mon visage à la va-vite, craintive à l'idée qu'il ait eu accès à mon raisonnement défaitiste. Il me fixe. Du moins, l'orientation de la partie basse de son visage semble l'indiquer... puisque je n'ai pas le cran d'affronter ses yeux.

À vrai dire, Alicante m'observe depuis l'altercation avec le Fou. Je n'ai néanmoins pas l'impression d'être admirée, plutôt jaugée, voire considérée comme une lionne en liberté qu'il craindrait de trop approcher. Ai-je le pouvoir d'éclater son cœur entre mes griffes de prédatrice.

-Cela dit, rien ne vous interdit d'y remédier, ajoute-t-il, narquois.

Je pose mes yeux sur ses bras, une zone neutre, loin des prunelles noires fouilleuses d'âmes. Les contours de ses biceps saillent sous sa peau, révélant sa nervosité. Surprise, j'élargis un peu plus mon angle de vue et me laisse engloutir dans le tourbillon sombre de son regard. Alors, des œillères tombent et je recouvre la vue. Le petit avion stationné sur le tarmac qui s'étire derrière lui s'estompe, et soudain, Alicante me paraît plus attirant encore qu'il ne l'était auparavant. C'est délirant.

Je ne sais pas s'il s'agit du vent qui secoue ses cheveux noirs ; la manière dont leurs mèches caressent sa peau hâlée ; sa mâchoire anguleuse, à l'arête brute, qui caractérise à la perfection la dureté et la virilité qui façonnent son apparence de Tentateur ; ou ses membres striés de vallées musculeuses, qui attisent la tornade hormonale qui enfle dans mon ventre...

À moins qu'il s'agisse de ce regard brûlant, encadré par d'épais cils noirs... et perturbé par un souffle d'interrogations confuses. Lui aussi, est perdu. Lui aussi, est troublé. Lui aussi, ne comprend pas le regain d'attirance brut qui magnétise les quatre petits pas qui nous séparent.

Cœur de flamme (Tome 2)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant