Rentrée des classes

365 71 18
                                    

Lundi, Onze heures et cinquante minutes

J'ai repris les cours aujourd'hui. En enfilant mon uniforme ce matin, ma mère m'a regardé toute souriante, puis m'a dit : Je suis fier de toi. Je n'ai rien dit, j'ai juste souri. Mon papa m'a filé un billet de cinq cent gourdes ce matin. J'ai fait un « oh » sans le vouloir. Mon père est si radin parfois...

J'ai été particulièrement surpris ce matin lorsque le directeur m'a publiquement félicité en compagnie des deux autres lauréats. Je suis le second lauréat, j'ai donc reçu une médaille d'argent. Mais, a bien réfléchir, je n'ai entendu aucun applaudissement lorsque retentit mon nom dans les haut-parleurs.

Ma classe comporte vingt-six élèves, les uns différents des autres. J'ai appris ce matin que le dodu, celui qui s'amuse à m'appeler « sac d'os » a laissé le pays vers les Etats-Unis d'Amérique. Je suis soulagé, j'aurais au moins une personne de moins à constamment me taquiner.

Tous les professeurs sont venus avec leurs lots de conseils, du genre cette année est décisive pour votre avenir, qu'il va falloir que vous redoublez d'effort si vous souhaitez intégrer une bonne université. J'ai écouté toutes ces choses avec amusement. Le professeur de philosophie m'a demandé ce que je souhaitais apprendre l'an prochain une fois mes études classiques bouclées. Sans sourciller, je lui ai répondu la Philosophie. Il a froncé les sourcils, peut-être a-t-il cru que je lui faisais une mauvaise blague.

J'ignore quelle étude vais-je entreprendre. Ma maman m'a récemment demandé si je souhaitais apprendre la médecine. Je n'ai alors pas pu m'empêcher de sourire. Presque toutes les mères haïtiennes souhaitent que leurs enfants soient médecins.

J'épie tranquillement l'heure de la récréation. J'ai une faim de loup. Mon regard se pose sur Fénelon, le premier lauréat du Bacc I pour mon établissement scolaire. Ce mec est un génie et mon idéal, je veux dire académiquement. Lui et moi sommes plutôt proches. Ensemble, l'on a monté l'an dernier le book club. Nous ne sommes que cinq mais nous passons de bons moments. J'ai appris que les autres s'amusaient à appeler notre groupe de lecture les « Lépreux ». Ça ne m'étonne pas, j'ai passé ma vie entière à essuyer des farouches.

Fénelon n'est motivé que par les activités académiques. Ce mec, j'en suis certain, aura du succès dans sa vie. Il est comme moi au fond, un peu à l'arrière, avec peu d'amis et constamment plongé dans ses bouquins. Mais je suis sûr qu'il a une copine et qu'il n'est pas autant tiraillé par les doutes et malaises morales que moi.

L'heure de la récréation arrive enfin. Je suis peut-être le premier à me lever. Je me dirige rapidement vers la cafétéria. Après avoir fini de manger, je me rendrai à la bibliothèque, histoire de voir quel petit bijou elle y recèle !

Je jette un visage à ma gauche. Je remarque Florentine qui elle aussi se dirige vers la cafétéria. A mon grand étonnement, elle me sourit. J'en fais de même, sans grand enthousiasme


Sanon IIIOù les histoires vivent. Découvrez maintenant