Craintes et Collisions

191 54 19
                                    

Vendredi, Onze heures et cinquante-deux minutes

Cultur'act est sur toutes les lèvres. Apparemment ça va être une grande activité. Florentine m'a fait savoir que cette activité réunissait des milliers de jeunes écoliers tous les mois. Des artistes très connus viennent souvent y performer. J'ai fait comme si j'étais déjà au courant de toutes ces choses, mais au fond, j'ignorais tout.

Elle me met un peu mal à l'aise. Florentine n'arrête pas de me regarder puis de sourire. Je détourne mon visage à chaque fois.

Victor est le mec le plus silencieux que j'ai jamais vu. On le passe en dérision jusqu'à présent, mais il ne dit rien, il est calme, serein et docile. On eut dit que sa constante colère s'est évanouie. Le seul hic dans toute cette histoire, c'est qu'il ne joue plus au football. Victor passe ses moments de récréation près de la direction ou dans la salle de classe. J'éprouve du remords en voyant tout ça. Peut-être devrais-je m'excuser auprès de lui... Non, c'est définitivement une mauvaise idée !

Je jette un coup d'œil à l'heure : Il est presque Midi. La salle est en ébullition, c'est ainsi tous les vendredis. Le professeur veut se faire entendre, mais c'est peine perdue. Il n'a plus le pouvoir, il est disqualifié.

Lorsque la sonnerie retentit, la salle se vide en un temps record. Même Fénelon a disparu dans tout ce brouhaha. Je tourne la tête, je croise le regard de Florentine. Elle me sourit puis entreprend de ramasser ses effets.

***

Vendredi, Midi et trente minutes

« Tu as remarqué comment Victor est si pâle ? »

Sa question me prend de court. Florentine et moi sommes assis sous le préau. Je me demande si elle a fait exprès de me poser cette question, mais je fais mine de ne pas m'y intéresser :

« Il est normal à mon avis... »

Elle semble s'y accrocher. Elle ajoute :

« Non, je crois pas. Il ne dit plus rien, il ne fait plus de blagues, il est bizarre en fait... »

« Je vois... »

Florentine me met mal à l'aise. Je me demande ce qui ne va pas avec cette fille cet après-midi.

« Je peux te poser une question, Sanon ? »

« Vas-y, fais toi plaisir. »

Elle hésite pendant un instant, puis me demande :

« Comment as-tu fait pour supporter les railleries de tes camarades pendant toutes ces années ? »

Je suis une nouvelle fois pris de court par sa question. Cependant, je compte lui répondre sincèrement :

« Bon... Je pense que... Je pense qu'au final, j'ai accepté le fait que j'étais différent d'eux... Que je n'étais pas comme eux, que je n'avais pas les mêmes motivations qu'eux, »

Elle secoue la tête comme pour me faire comprendre qu'elle a compris, puis elle ajoute :

« Tu es très courageux, tu sais. J'ai comme l'impression qu'ils ont fini par se lasser de te nuire. »

« Je l'espère Florentine... Mais, je ne pense pas que je suis autant courageux que tu le penses. Je suis humain avant tout. Il m'arrive certaines fois de pleurer à cause de leurs mauvaises blagues à mon égard... Il m'arrive de haïr leurs paroles, de les détester et de vouloir les faire du mal aussi. Je n'ai rien d'un héros ni d'un être spécial. Je suis un garçon, différent des autres et peut-être bizarre, mais je demeure humain... »

La cour de l'établissement commence à se vider. Il est presque treize heures et certains d'entre eux sont rentrés chez eux pour se changer et se rendre à la Cultur'act. Ce matin, j'ai annoncé à ma mère que je rentrerais un peu plus tard que d'habitude. Elle m'a posé plein de questions. J'ai gentiment répondu à chacune d'entre elles, dans l'idée qu'elle n'invente aucun prétexte pour m'empêcher de me rendre à cette activité.

Près de moi, Florentine est très bavarde. En temps normal, je le suis aussi, mais pas avec elle. Je n'oublierais surtout pas qu'elle m'a manipulé. Je la considère jusqu'ici comme une menace. Je ne me lie pas d'amitié avec mes menaces, je me méfie d'elles et je les élimine si possible. Jusqu'ici, je ne sais toujours pas où tout ça va me mener.

« Tu n'as donc pas amis dans cette école ? »

« Aucun... Mais je m'y fais. Ça ne m'a jamais dérangé, pourquoi ça serait le cas maintenant ? »

J'ai posé la dernière question à moi-même en fait. Florentine poursuit :

« Nous avons toujours besoin de personnes sur qui on peut compter... »

« Je sais, Je sais... »

Au bout d'un instant passé dans un silence méthodique et assez gênant, Florentine se lève, me tend la main, puis dit sous un ton plaisant :

« Viens petit paresseux, c'est l'heure ! »

***

Vendredi, Treize heures et quarante-trois minutes

Des jeunes qui sautillent de tous parts sous diverses tendances musicales, la cigarette et l'alcool interdits, des jolies filles issues de diverses écoles et des jeunes hommes en effervescence, croyant que le monde est à leurs pieds, voilà la première impression que j'ai de la Cultur'act. Tous types de musiques s'ensuivent, les regards s'entrecroisent, des sourires naissent et disparaissent, des jalousies se font, des relations se créent, des amours se consolident.

Je suis étranger à tout cela !

Je ne sais quel pied mettre devant. Je ne sais comment me comporter face à tout ce tumulte. Près de moi, Florentine semble aux anges. Elle bouge déjà au son de la musique. Au bout d'un instant, elle se tourne vers moi, puis me crie, tentant de se faire entendre:

« Tu vas bien ? »

Je secoue la tête pour lui faire comprendre que c'est ok pour moi. Elle ajoute :

« Je vais au bar, attends-moi ici ! Je t'apporte un coca, d'accord ? »

Cette fille est obsédée par le Coca ! Cette fois je ne refuse pas comme la fois précédente. Florentine s'éloigne et moi, je demeure cloîtré au même endroit, tentant de comprendre pourquoi les autres s'agitent autant.

« Sanon ! »

J'entends quelqu'un m'appeler, je me retourne vivement. Althéa est en compagnie de son amie, Lunise.

Elle me saute presqu'au cou. Lunise quant à elle me tape dans le bras droit. On eut dit qu'elle me connaissait depuis toujours !

« Vous allez bien les filles ? »

J'essaie de me la jouer cool, Althéa me gratifie de son beau sourire. Elle a en main un Pepsi à moitié remplie.

« Ouais, sauf qu'ils ne vendent même pas de bière ici ! C'est niais ça ! »

Althéa et moi rions en entendant parler Lunise. Je dis :

« Et moi qui pensait que la bière nous était logiquement interdite... »

Le Disc-Jockey change au même instant de musique. Un bruit assourdissant retentit dans la salle entière. Les filles près de moi sautillent elles aussi. Je ne connais pas la musique, mais je fais semblant de bouger.

« Viens, allons plus près du DJ ! »

Althéa me prend la main et tente de m'entraîner vers l'avant. Cependant, je la retiens dans sa course.

« Euh, non... J'attends quelqu'un. »

« Qui ça ? »

Les deux filles ont posé la question simultanément. Je me sens terriblement mal à l'aise. Au même moment, Florentine revient accompagné de deux bouteilles de Coca, m'en tend une, puis me dit :

« Alors, On y va ? »

Sanon IIIOù les histoires vivent. Découvrez maintenant