Rêve politique brisé

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Vendredi Sept heures et cinquante minutes

Je consulte ma montre. Rien que dix minutes avant que les cours ne débutent. Aujourd'hui c'est vendredi, les cours prennent fin à Midi. J'aimais bien vendredi. C'était le jour où notre club de lecture se tenait. J'ai parlé au passé. Ça me met hors de moi à chaque fois que j'y réfléchis. Victor deviendra président de la promotion cet après-midi. Ensuite il m'anéantira définitivement. Je suis bien triste de le reconnaître, je vais passer l'une des pires années de ma vie !

Hier soir, j'ai rêvé que j'étais le seul à ne pas le voter et qu'après les élections, il me forçait à m'excuser publiquement pour mon acte d'insolence. Mes cauchemars ont recommencé. Et maintenant, il ne s'agit plus de Christian mais d'un autre bourreau encore bien plus imprévisible.

Une foule d'élèves s'amassant devant le tableau d'affichage attire mon attention. Instinctivement, je me dirige vers eux. J'entends des rires étouffés tout en m'approchant. J'avance encore plus vite. Lorsque j'atteins le panneau d'affichage, je suis malgré moi essoufflé. Ce que je découvre me laisse ébahi.

Un long texte portant la simple signature d'un « concerné qui souhaite le bien de la grande majorité » est intitulé 25 raisons pour lesquelles tu ne devrais pas voter Victor !

Le texte m'arrache un sourire, un long et sincère sourire. Les élèves se bousculent pour lire les 25 raisons. Je me fais ballotter mais je ne bronche pas. Ce trac me fait trop de bien !

Les 25 raisons sont toutes explicites. Mais celles qui retiennent le plus mon attention sont la 1ère, la 8ème et la 23ème.

« Victor est un dictateur sans bornes. Ses propos reflètent sa personnalité. Comment peut-on concevoir qu'un individu aussi imbu de sa personne puisse diriger les autres avec tact et sagesse ? »

« Victor et ses rêves de grandeur... L'on peut comprendre ce qui le motive, puisqu'il jubile à qui veut l'entendre qu'il sera président et trésorier ! »

« Victor s'exalte d'être un Don Juan, mais ce qui inquiète tout le monde, c'est sa propension à corrompre les plus petits que lui. Sa copine fait la huitième année fondamentale ! »

Je ne m'arrête plus de rire, Ma journée commence bien. Trop bien même. Quiconque ait écrit cette chose est dans ma logique un génie et un sauveur. Tout le monde en parle dans la cour de l'institution. C'est avec grande joie que j'entends retentir la sonnerie annonçant le début des cours !

***

Vendredi huit heures et trente-six minutes

La salle de classe est en effervescence. Victor promet de tuer de ses propres mains l'auteur de cet affront. Fénelon m'a fait le serment qu'il n'en était pas l'auteur de cette petite bénédiction. Au fond de la salle, Jimmy, le garçon de plus grande taille de notre promotion simule une voix de petite fille, et dit :

« Je t'aime Victor ! Bisous ! »

Tout le monde se met à rire. Victor se lève et fonce vers ce dernier. On le stoppe à temps. Le professeur l'ordonne de laisser la salle. Il traite ce dernier d'imbécile et claque la porte en sortant.

Victor est en train de perdre des points !

Tout cela fait mon affaire et celui du Book Club. Je me tourne vers Fénelon, celui-ci reste froid. Mais quand mon regard rencontre le sien, il me sourit largement. Lui aussi est heureux de la tournure que prend les choses.

***

Vendredi, Quatorze heures et onze minutes

Une fille rapporte qu'elle vient de croiser Victor en train de pleurer à l'arrière des toilettes pour hommes. La majorité accourt pour voir ce fait inédit. Je reste pourtant là où je suis, debout près des autres « Lépreux », savourant mon fresco tout en attendant le résultat des élections.

Fénelon m'a convaincu de voter pour un candidat de la terminale A. Il raconte que ce dernier lui a fait la promesse que le Book Club aurait une plus grande visibilité et ne serait pas dissous

« Il vise d'abord les affaires académiques, crois-moi Sanon, Pedro est celui qu'il nous faut comme président ! »

En une matinée, Victor est passé du héros à la risée de tout le secondaire. Son surnom est désormais « petit dictateur sans scrupule ». J'évite de trop afficher ma joie. Ce dernier me déteste et n'hésiterait pas à me frapper s'il me voyait rire de son malheur.

Je finis mon fresco. Je jette un regard vers le petit groupe qui s'amasse près de la toilette et qui s'amuse à singer Victor. Ces derniers jouent avec le feu. Victor est un garçon violent sans aucune limite.

« Un trône pour Victor ! »

Je ne peux m'empêcher de rire de toute cette situation. Hier encore il faisait en grande pompe son discours devant cette même foule qui l'avait chaudement acclamé, et aujourd'hui, Victor est poussé à bout par ceux qui se disaient être son ami. C'est révoltant, mais que suis-je sensé dire ? Je ne vais surement pas porter secours à mon bourreau...

Lorsque vers les Quinze heures l'on annonce le résultat des élections, Pedro est élu comme président avec cinquante-six pour-cent des votes. Victor quant à lui, n'a obtenu que deux voix. Je suppose que c'est Katia qui lui a fait don de cette seconde voix, puisqu'elle aussi pleurait à chaudes larmes !

Sanon IIIOù les histoires vivent. Découvrez maintenant