151 - Sage-femme

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Juste avant de partir chez la sage-femme, Tamara eut un doute. Allait-elle encore se voir reprocher d'avoir fait de la moto dans son état ? Mais elle ne voulait pas manquer le rendez-vous ou le décommander à la dernière minute alors que la praticienne avait fait l'effort de lui trouver un créneau le jour même. Elle détestait quand les clients du garage avaient ce genre de comportement.

Elle finit par se décider à y aller. La salle d'attente était agréable, avec de jolies reproductions au mur. Au moins, cette personne avait bon goût.

La sage-femme la fit rentrer dans le cabinet de consultation après avoir reconduit la cliente précédente. Elle prit une feuille et s'enquit :

— Qu'est ce que je peux faire pour vous ?

Timidement, Tamara lui parla de l'accident et de ses conséquences. La femme demanda :

— Avez-vous des symptômes qui vous inquiètent ?

— Non, reconnut Tamara heureuse de ne pas se sentir jugée. Je suis juste très fatiguée.

— C'est normal, votre corps a besoin de se remettre de votre peur et du choc. Avez-vous la possibilité de vous reposer ?

— Oui, j'ai un arrêt de travail.

— Profitez-en bien, alors. Dormir et vous détendre est ce que vous pouvez faire de mieux pour vous et votre enfant. Avez-vous un point dont vous aimeriez me parler ?

Brusquement, Tamara se mit à sangloter, sans pouvoir s'arrêter. La sage-femme vint s'asseoir sur le fauteuil près d'elle et lui passa la boite de mouchoirs qui se trouvait sur le bureau. Tamara se calma, et les mots sortirent, comme malgré elle. Elle raconta sa première grossesse en prison, le déni du début, la culpabilité qui en avait suivi, le choc de la réaction de François, le déchirement de signer des papiers qui consacraient l'abandon de cet enfant qu'elle portait. Elle fit part de sa colère, qu'elle savait injuste mais qu'elle ne pouvait contrôler, quand on lui disait de prendre des précautions pour cette grossesse, alors qu'elle avait mené à terme la précédente dans des conditions tellement plus difficiles.

— La souffrance morale est souvent minimisée, fit remarquer la sage-femme. Même les conséquences physiques de la détresse sont mises de côté sous le prétexte que c'est psychosomatique.

— C'est exactement ça ! s'exclama Tamara. On me bassine pour des bleus alors que quand j'attendais Julien, je souffrais à hurler.

— Est-ce que vous pensez que votre compagnon pourrait comprendre votre point de vue si vous le lui expliquiez ?

Tamara réfléchit. Elle n'avait pas envie de revenir sur le désespoir qu'il lui avait fait endurer, ne voulait pas avoir l'air de s'en plaindre. Elle se contentait de se fermer à toutes ses suggestions de prudence concernant cette grossesse-ci. Sans explications de sa part, il n'était pas étonnant qu'il ne comprenne pas son attitude. Cela ne pouvait pas continuer ainsi, décida-t-elle. Si elle ne pouvait pas se conformer à ce qu'il attendait d'elle, il avait au moins le droit de savoir pourquoi.

— Je vais tenter de lui parler, répondit-elle.

— J'espère que tout se passera bien.

Tamara hésita et exposa ce qui la taraudait depuis plusieurs jours :

— J'ai... enfin, j'ai parfois l'impression que mon mari est plus enceinte que moi... Je veux dire... Pour moi, c'est inutile de tout préparer alors que le bébé ne sera là que dans sept mois. Pas besoin non plus de changer ma vie alors qu'il n'a même pas la taille d'un haricot.

— Vous avez encore besoin d'un peu de temps pour ressentir cette grossesse.

— Oui, mais... Je ne devrais pas déjà aimer mon bébé comme s'il était là ? Dès que j'ai su pour Julien, il est devenu le centre de ma vie.

— Le lien mère-enfant n'est pas toujours instantané. Cela varie d'une personne et d'une grossesse à l'autre. Cela peut venir plus tard durant la gestation, au moment de l'accouchement, ou même ensuite, aux premiers jours du bébé. Ne vous inquiétez pas inutilement.

Tamara hocha la tête, pas totalement rassurée. La sage-femme reprit :

— Je vous sens anxieuse et ce que vous m'avez raconté n'est pas facile à gérer. Je pense que vous devriez songer à vous faire aider par un professionnel, qui vous permettrait de mieux comprendre ce que vous ressentez et de faire le tri dans tous ces souvenirs que vous avez du mal à assumer.

— Je ne sais pas... répondit Tamara, pas très emballée par cette idée.

— C'est à vous de voir, mais j'ai l'impression que de vous confier vous a déjà fait beaucoup de bien. Ce sera encore plus efficace avec une personne mieux formée que moi.

— Je suis désolée, je vous ai retenue trop longtemps, s'excusa Tamara réalisant qu'elle était dans le bureau depuis plus d'une heure.

— Ce n'est pas un problème. L'écoute fait partie de ma consultation. Si cela ne vous convient pas de vous faire suivre par un psychologue, vous pouvez revenir me voir.

— Entendu, répondit Tamara, gênée de s'être épanchée auprès de cette inconnue, mais infiniment soulagée d'avoir démêlé grâce à elle l'écheveau de ses sentiments.

— Bien. Voici la carte d'une dame très bien, plusieurs de mes patientes m'en ont donné un retour très positif. De toute manière, je serai très heureuse de suivre votre grossesse si vous le désirez.

Tamara remercia et régla la visite. Ce n'est qu'en sortant qu'elle réalisa qu'elle n'avait même pas été auscultée. Mais l'essentiel avait été fait.


Peine incompressibleOù les histoires vivent. Découvrez maintenant