CHAPITRE 13

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Mes yeux restent ébahis quelques secondes. Ma voix s'élève avec hésitation.

- C'est mon grand-père qui m'a appris à me battre.

- Il t'a plutôt bien entraîné. Où habite-t-il ?

Mon regard se durcit.

- Pourquoi tu veux le savoir ?

- Comme ça.

Aucun son ne sort de ma bouche. Je lui en ai déjà trop dit. Il me regarde fixement. Puis, un son si rauque vient irriter mes oreilles.

- La famille ernasters est vraiment impressionnante.

Il connaît même le nom de ma famille d'origine. Cependant, une question retourne mon esprit. Si ces renseignements sont aussi poussés alors comment se fait-il qu'il n'ait aucune information sur mon grand-père ? Mon cerveau analyse la question. Les hypothèses affluent à une vitesse délirante. Il me donne la conclusion la plus évidente.

- Tu le savais.

- Savoir quoi ?

- Ne me prends pas pour une idiote.

Mon regard se fait glaciale. Une atmosphère pesante prend possession de cette pièce. Une mèche rebelle noir ébène s'interpose puis, balayée par une grande main, abandonne le combat. Ses yeux brillent dans toute cette obscurité.

- À l'âge de huit ans, elle perd ses deux parents. Elle est élevée pendant quatre ans par son grand-père. Apprends les rudiments de l'assassinat pendant ce laps de temps.

Mon sang ne fait qu'un tour.
Comment sait-il tout ça ?

- Mais alors pourquoi tu m'as demandé qui m'avait...

Soudain, tout devient plus clair. Son but était de voir ma réaction. Il voulait savoir à quel point j'étais loyale et prête à me sacrifier. Il m'a analysée. Il m'a analysée devant une situation critique.

-Tu n'es pas idiote. Rika. Tu sais apercevoir quand une personne est capable de te tuer. Tu sais également réfléchir avec calme à une situation pour voir à quel moment celle-ci est trop dangereuse pour toi.

Je me suis fait avoir. Un corps frôle le mien. Son souffle froid me chatouille les oreilles.

- C'est dommage de devoir te....

Mes deux points bleus se bloquent sur son bras, légèrement écarté. Je saisis cette occasion. Ma main vient l'attraper puis le resserre. Ses yeux s'agrandissent. Il essaie de se dégager sans succès. Mes pieds s'enracinent dans le sol. D'un coup, son bras se retourne. Son corps fouette l'air. Il se retrouve à terre. Un bruit explosif se fait entendre. Un gémissement rauque effleure mes oreilles. De la salive sort de sa bouche. Son dos se cambre. Soudain, l'interrupteur glisse de sa poche. Ma main se rue pour le saisir. Elle le balance contre le mur. Ce dernier se sépare en plusieurs parties sous le choc. La porte en ligne de mire, je m'élance. Contre toute attente, une main retient fermement mon pied.

Mes membres s'agitent dans tous les sens. D'un coup sec, mon bourreau me tire en arrière. Je m'écroule au sol. Mon corps meurtri essaye de se relever. Une grande main froide m'attrape le cou pour me soulever. Il me plaque ensuite contre la porte. Un bruit pour le moins violent coïncide avec son action. Son visage est crispé. Sa mâchoire, contractée. Ses veines se font de plus en plus visibles. Elles longent son long cou puis s'attaquent à ses bras. Il resserre sa prise. Ma respiration diminue drastiquement. Je me mets alors à suffoquer.

- Rika.

Son regard est dur. Ma vision se berce d'un flou étrange. Ma raison me quitte. Mes mains s'agrippent à son bras tentant ainsi une dernière contre-attaque. Je réfléchis à une solution. Mon cerveau est en surchauffe. Je sens alors contre mon dos une pression régulière. Elle intervient à chaque seconde. 1. 2. 3. Cependant, elle revient à chaque fois plus puissante. Mark me lâche. Mon corps s'écrase au sol. L'air s'infiltre dans celui-ci autant que nécessaire. Ses yeux grisâtres s'emparent des miens. Puis, un soupir s'évade de sa bouche.

- Oui qu'est-ce qu'il y a ?

Une petite voix gênée se fait entendre.

- Excusez-moi, j'ai entendu du bruit. Je peux ouvrir ?

- Oui entre.

Des gouttes de sueur mais surtout d'angoisse s'emparent de ma peau. Un jeune homme nous fait face. Ses cheveux désordonnés pointent en hauteur comme attirés par le plafond. Des lunettes noires habillent son visage. Ses petits yeux marron  disparaissent sous ses joues assez bombées. Son regard si calme au début se remplit d'étonnement.

- Comme tu peux le voir je ne suis pas tout seul.

Une bouffée de chaleur me prend.

- Si cela n'est pas indiscret bras droit... Que faisiez-vous ?

À cet instant, toutes les réponses possibles défilent dans mon esprit. Néanmoins, celles-ci ont toutes l'air... grotesques ? "On se battait à mort", "j'étais à deux doigts de la tuer mais tu nous as dérangé". Mon complice, quant à lui, reste neutre comme à son habitude. Soudain, un sourire, aussi taquin que faux, se dessine sur ses lèvres.

- Franchement, Even, tu te demandes ce qu'un homme et une femme faisaient dans une pièce sombre, la nuit.

Mon esprit bloque à cette phrase. Un homme ? Une femme ? Il veut sûrement me tuer sans témoins.

- Euh...c'est que vous n'avez pas l'air de...

- Je suis humain tout de même. Si tu préfères on faisait plus en plus connaissance. Hein ? Karine ?

Il pose doucement son bras sur mon épaule. Ce contact m'électrise. Plusieurs tremblements me parcourent. Sa peau m'irise les poils. Peu de temps auparavant, sa main ne demandait qu'à m'achever. Mais maintenant cette même main me caresse l'épaule. Cet homme est bizarre.

-Euh...je vois...

Voyant qu'Even reste statique, il essaie de le faire réagir. Subitement, une main empoigne mon bras pour réduire l'écart entre nos deux corps. Ma tête est prise en coupole. Mes lèvres se retrouvent alors capturées. Une partie charnue s'approprie ma peau gercée. Un énorme frisson d'effroi s'imprègne de moi. Celui-ci virevolte partout. Dans mes pieds, mes mains, ma tête. Il resserre ma poitrine et compresse ma cage thoracique. Le dénommé Even, gêné par la situation, s'excuse poliment puis rebrousse chemin. Lorsqu'il n'est plus dans notre champ de vision, mon corps le repousse d'un revers. J'enlève la salive infiltrée entre mes lèvres.

- Ne commence pas, il ne voulait pas partir. Je n'ai pas fait ça de gaieté de coeur.

- Je te rassure, je ne me suis pas laissé faire de gaieté de coeur.

À ces mots, un long silence nous démange. Mes sens sont à l'affût. Il m'observe. Ses jambes démarrent ensuite en direction de sa chambre. Mes yeux questionnent cette paire sombre.

- Tu veux mourir ?

- Non.

- Alors rentre dans ta chambre, me dit-il en détournant les yeux.

Ma raison est perdue. Son incohérence est déconcertante. Qu'est ce que c'est ? De la pitié ? Si j'ai raison, alors sa stupidité m'épate.

- Que ça soit clair, je ne fais pas ça par je ne sais quelle bonté ou pitié.

Ses pieds passent le seuil de sa porte.

- Il faut que je m'occupe de ce cadavre. Il a complètement sali mon lit, murmure-t-il pour lui-même.

Je n'arrive pas à déchiffrer le vrai du faux. Cherchant plus de réponse, je m'aventure sur une pente glissante.

- Mais alors pourquoi tu ne me tues pas ?

Il se stoppe net. Un long silence passe entre nos deux corps. Ses yeux gris se fondent dans la pénombre. Son regard m'apparaît alors comme monstrueux.

- Parce que tu m'es pour l'instant utile.

Mon souffle se coupe. Mon corps, instinctivement, m'emmène dans ma chambre. Ma main enlève mes vêtements pour que ma peau retrouve sa couche de tissu initiale. Cependant, mon esprit, lui, ne leur est d'aucune aide. Les questions affluent. S'empilent. S'agencent. Se mélangent. Puis, c'est l'anarchie générale. Pourquoi a-t-il changé d'avis ? En quoi lui serai-je utile ? Que cache cette impassibilité et ce sourire démoniaque ? Un léger sourire se dessine sur mon visage. Mais dans quelle galère je me suis encore fourrée.

Les Méandres De Mon ÂmeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant