Au devant des choses

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Enroulée sur moi-même dans la couverture, je me morfonds sans quitter des yeux une petite peluche de mon gilet noir, ayant atterri sur l'oreiller. L'ennui et la tristesse me font parvenir à des stades inexplorés de lassitude.

A deux doigts de m'assoupir, je suis réveillée par des claquements de portes, au rez-de-chaussée.Je lève doucement la tête et le visage renfrogné de monsieur Verdin m'apparaît:

_"Bonjour!Juste pour vous dire de me rejoindre à mon bureau!"

Aussi vite qu'il apparut, il s'éclipsa, ma réponse n'ayant pas eu le temps d'être prononcée.

Postée entre Susan et le docteur, je m'impatiente. Que me veulent-ils à la fin? Mon agacement finit par le faire tiquer.

_"Rassurez-vous,cela ne va pas durer une éternité! J'ai juste quelques papiers à vous transmettre. Ah, les voici!"

Il me tend une dizaine de pages agrafées, et sans réfléchir je tends ma main droite, invisible. Et ma tentative n'échoue pas. Mes doigts se referment dessus sans corner les feuilles blanches, comme si j'avais toujours agi ainsi.

Fière, je pars lire ce quel'on vient de me donner. La présentation est quelconque, l'écriture,simpliste. En tout cas, plonger dans le récit extraordinaire de"monsieur le chef de laboratoire" ne me fait guère plaisir.

Me contentant d'une barre de céréales pour dîner, ce qui ne suffit pas à mon corps maigre,j'entame ma lecture. Souriante et les yeux écarquillés, je termine de lire la dernière ligne. Je viens de prendre connaissance des éléments se rapportant à l'invisibilité, et des effets qu'elle peut avoir sur l'être humain. Moi qui appréhendais cette avancée,je la considère désormais autrement. Elle permet d'aller où bon nous semble, de faire ce qui nous plaît en nous éloignant du jugement des autres. Elle transforme une vie monotone en une vie trépidante. Elle est un but à atteindre marquant le début d'une nouvelle existence. Moi qui avais une vision assez partagée de cette nouvelle ère technologique et biochimique, je me retrouve décontenancée. Comme dit dans la dernière phrase accrocheuse, "C'est au-delà du réel et par l'invisibilité, que nous pouvons parvenir à la liberté". Si je veux mon bonheur, je dois pouvoir me sentir libre, ainsi, tenter une telle expérience ne pourra me faire perdre qu'une apparence: superficialité face à la fondamentalité de ne plus être prisonnier de rien. Une décision aussi importante et surtout définitive, doit avoir le temps de mûrir et d'être questionnée. Je préfère m'endormir, en espérant que la nuit me portera conseil.

_"Mademoiselle Anne Doughton! Réveillez-vous!"

Le réveil est brusque, mes paupières ont du mal à s'entrouvrir. La fatigue qui me presse le cerveau, me fait vite dire que le sommeil me manque et que la nuit fut courte. Un homme, très mince que je crois avoir déjà rencontré quelque part, tient une fiche décorée d'une photo de moi que je n'ai pas souvenir d'avoir donné. J'aimerais la regarder de plus près, cependant l'homme avance d'un pas décidé.


_"Par ici."

Je traverse le bureau du docteur, puis par une porte discrète, j'arrive dans un amphithéâtre, comportant une dizaine de rangées de sièges.

Je pars m'installer à une place attitrée, et reste seule jusqu'à l'arrivée d'une nuée de scientifiques. J'aurais pu croire qu'ils étaient humains malgré leur comportement "machinal", mais en dépit de ma présence, aucun n'a le respect de m'adresser un simple sourire même forcé. Je hausse les sourcils en continuant de les identifier.


Maintenant que tout le monde est assis d'un bout à l'autre de la salle - le siège à côté de moi demeurant inoccupé - Monsieur Verdin monte sur l'estrade en bombant le torse, et se positionne devant le micro et l'écran géant affichant: "L'humanité invisible". Quel discours pompeux va-t-il mettre en scène? Aura-t-on droit à un rictus de fin de phrase, typique de l'homme gêné et gênant.

L'introduction que j'écoute d'une seule oreille, me fait bailler, contrairement au développement de sa théorie qui me fait particulièrement repenser à ce que j'ai lu hier soir. Attentive, je deviens peu à peu passionnée, tant par ce qui permit d'en arriver à un gel révolutionnaire, que par les fins d'une telle création.

_"[...] Vous verrez,l'humanité toute entière s'offrira une pure liberté grâce à nous, grâce à vous."

J'ose applaudir son talent de conviction, car bien que je le critique énormément, il sait user des bons mots pour vous faire adhérer à son point de vue. Lorsque les applaudissements s'amoindrissent, une personne en retard vient sur le dernier siège vide à ma gauche, sans qu'un oeil ne se tourne vers elle. Etonnée par un acte aussi dénué de calcul préalable, je ne cesse de m'interroger, en jetant parfois des regards en direction de cet inconnu. Pendant ce temps, la conférence suit son cours, et les réactions de mon voisin me donnent l'impression que les idées promulguées dans cette salle ne lui sont pas chères. Il s'exaspère,et finit par déclarer:


_"Ils sont tous atteints! Le jour où tout ira mal, ils seront uniques responsables!"

Je décide de me lancer, et lui réponds dans un murmure:


_"Je ne savais pas qu'il était possible de vous entendre parler."

Dégageant les cheveux de son visage, il me détaille et commence à rire de mon propos. D'une humeur joyeuse, je me mets à rire à mon tour. Cela faisait si longtemps qu'un peu de joie n'avait pas emprunté le chemin menant à mon être. Nous échangeons toujours quelques mots, camouflés heureusement par la puissance du micro. Inexistante depuis mon départ, la timidité réapparaît. Prénommé Rafael et arrivant de Nouvelle-Zélande, il semble avoir vingt ans tout au plus. Ses cheveux bruns bouclés et légèrement ébouriffés s'effondrent devant ses yeux vert foncé. Le teint de son visage est recouvert d'un léger hâle, et pour être honnête, sa beauté naturelle me fait me comporter comme une enfant. J'ai l'impression de revivre mes premiers ébats amoureux.

Absorbée par ces minutes de discussion divertissante, je ne réagis pas lorsque la fin de la séance sonne enfin. Par un pur hasard, je viens de rencontrer quelqu'un, à la candeur adorable et au sens critique en parfait accord avec le mien. J'aurais aimé profiter de ma confiance hâtive pour lui poser des questions sur ce qui se passe mystérieusement entre ces murs, mais les étincelles de colère et de méfiance lancées par le docteur Verdin me font rapidement changer d'attitude.Il me fait signe de le devancer, et prétend vouloir discuter. Je tente de revoir Rafael avant d'avoir à écouter cette voix fausse et pleine de mensonges, en vain... Il est déjà reparti parmi les autres.

Les uns disparaissent...Où les histoires vivent. Découvrez maintenant