S'éloigner de soi

61 6 6
                                    


Oups ! Cette image n'est pas conforme à nos directives de contenu. Afin de continuer la publication, veuillez la retirer ou mettre en ligne une autre image.


C'était hier que je découvrais une partie du faussaire qu'est ma vie. C'était hier que l'envie de partir d'ici me venait. A l'instant, je serre les dents, pleine de remords et de haine et de volonté d'en savoir bien plus. Je referme ma valise, puis ma détermination me fait dévaler les escaliers. A peine persuadée que la porte de l'accueil est ouverte, je tourne la poignée et pousse doucement. Un courant d'air glacial me fouette le visage, de la neige me recouvre petit à petit. L'hiver pointe avidement le bout de son nez. Vêtue simplement d'un t-shirt, d'un jean et d'un coupe-vent, je tremble de froid. Je suis passée d'un été doux et ensoleillé, à une saison rude, sans automne pour amoindrir le choc.

Ne m'arrêtant pas, je repasse au milieu de la Noman's street. Si les flocons ne tombaient pas, j'aurais eu l'impression de retrouver le même silence, les mêmes volets clos. Je soupire. Peut-être que ne pas avoir vu la joie dans les yeux de quelqu'un depuis si longtemps, dissipe toute bonne pensée. Je repense alors à Rafael. Cet inconnu a réussi à me faire rire et à me transmettre des émotions positives que je croyais révolues. Cela ne me suffit cependant pas à me dire que le bonheur a resurgi.

Ma nouvelle fuite ne semble pas guider par l'envie d'autre chose, c'est bien le chagrin qui me fait aller au hasard. L'Australie est un prétexte pour me sentir mieux et pleine d'ambition. Bien sûr, si je parviens à poser le pied sur ce bout de terre perdu au milieu de l'océan, j'aurai accompli le rêve d'une autre, ma mère. Mais alors où sont mes propres rêves? Où se cachent mes réelles envies? Tout être humain normal a des rêves, sauf moi Anne Doughton. Soudainement, je me surprends à réemployer mon nom de naissance. Je cherche tant à effacer ce que je suis... J'ai l'étrange impression,que ce que nous sommes vraiment demeure indélébile, en dépit de ce par quoi nous voulons le remplacer.

Démunie, je quitte un nouvel abris. Mes empreintes, elles, tracent ma route, et sont pour mon imagination, les cailloux du Petit Poucet. Si je regrette ce que je fais, si je me perds, j'aurai toujours le moyen de retomber sur mes pas.

Une éternité me semble passée quand je décide de m'asseoir à l'intérieur d'un café. Dedans, la chaleur fait abstraction de l'hiver rude qui règne au dehors. Et cette odeur de cacao émanant des tasses des nombreux clients me ramène sur les bancs de l'école.Je revois ces chocolats réservés aux enfants sages dont je faisais fièrement partie; un souvenir qui me fait m'installer sur un sofa,un mug débordant de chocolat savoureux à la main. La première goutte frôle mes lèvres gersées. Mon cœur se réchauffe autant que mon corps gelé par les faibles températures. Grâce ou à cause de ces pensées entremêlées de peine et de joie, j'envisage tantôt le pire, tantôt le meilleur. Le pire peut arriver, je l'ai assez expérimenté. Il serait temps qu'il disparaisse. Le meilleur peut arriver, je l'ai tant souhaité. Il serait temps qu'il apparaisse. Où est la justice dans ce monde, quand seul, vous éprouvez une trop grande tristesse, et que personne ne peut la supporter avec vous?Pourquoi vous délaisser parmi des visages respirant tout autre chose que la peine? Une famille nombreuse dans un coin, relate un voyage en Thaïlande, et principalement ses excursions à dos d'éléphants à travers tout le pays. A l'opposé, près d'un hublot, une jeune femme de mon âge est au téléphone. Elle prononce des mots que je n'ai jamais eu la possibilité de prononcer à quelqu'un, du moins ne me les a-t-on jamais rendus...

_"Anne! Que fais-tu ici? Je t'ai cherché partout!"

Je tressaille en écarquillant les yeux. Rafael, l'air choqué, s'asseoit en face de moi.

_"En réalité, je sais ce qui t'a poussée à partir... Et je savais que tu le ferais dans tous les cas. "Voyant que je ne réagis pas, il continue de me parler. "Je comprends ta réaction tu sais. Face à la vérité non-dite, j'aurais fait comme toi..."

Au ton de sa voix, je peux ressentir une pointe de regret alors je préfère ne rien dire, quitte à le laisser discuter avec lui-même.

_"Avant de te laisser, je voudrais te dire que tu as cru en l'Invisibilité et qu'elle aurait pu t'aider."

Je n'arrive plus à suivre son raisonnement. Hier, il contredisait le docteur, aujourd'hui il m'incite à faire ce qu'il me demande.

_"Oui, je ne suis pas pour que l'invisibilité se développe, je suis pour que l'invisibilité reste peu répandue. Mais quand on voit une jeune femme "en détresse", j'imagine qu'elle peut être un nouveau départ. Alors, je te prie de réfléchir à cela..."

Il veut rajouter quelque chose, mais s'en va avant même de l'avoir fait. Je le regarde s'éloigner, dépitée et déçue par mon attitude. Qu'attendais-je pour lui répondre? Qu'il me pose des questions ou qu'il m'offre un verre? Je frappe ma tête avec violence pour me faire réagir et cette fois tout est clair, je vais devenir une nouvelle invisible.



Les uns disparaissent...Où les histoires vivent. Découvrez maintenant