La fin d'un temps (suite)

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              La fin de l'été approche à grand pas, et me pousse à réfléchir sur les évènements à venir. Normalement, je dois poursuivre mes études dans les langues, à l'université de Borwall. Etudier le français était jusque là une de mes priorités. L'envie de maîtriser une si belle langue s'est malheureusement évanouie à la mort de ma mère, Kathleen. Il est évident que mes parents m'auraient forcée dans la réussite scolaire, cependant je n'y vois plus aucun intérêt. Je crois qu'en cet instant, il m'est formellement recommandé de discuter de cela avec mon père, qui j'en suis certaine, sera ravi de me donner des conseils. L'ironie dont je suis l'auteur me fait esquisser un sourire des plus moqueurs. 

                     La tête dans les mains, mon père est occupé par la comptabilité qui lui demande une concentration maximale, et je ne peux résister à la tentation de le déranger: 

_"Papa, tu feras tes papiers plus tard, il y a des choses plus urgentes quand même".

 Sans même détourner le regard de ses fiches, il prétexte: 

_" Ah oui, tu penses vraiment que ce qui te concerne est le centre majeur des attentions?".

 La volonté de répondre sèchement est à son comble, cependant, je garde mon calme, et au moment de franchir la porte pour partir, je lui déclare vivement: 

_" Si seulement, mes études avaient été, ne serait-ce qu'un temps, le centre de tes intérêts, mais par ce que je vois, ton indifférence déborde de toute part." Je n'attends pas de réponse, je veux juste que le feu en lui, brûle, et le fasse hurler de douleur. 

                        Cette conversation de courte durée, m'a quelque peu creusée l'estomac et je vais donc à la cuisine manger un morceau. Suivie de près par mon père, je m'asseois sur une chaise haute du bar. L'expression sur son visage en dit long sur ce qu'il a dû penser de moi à la minute précédente.

_ " J'attends!". 

A la vue de son air exaspéré, je ne tarde pas à lui expliquer ce qui me préoccupe ces jours-ci. Formulant de manière réfléchie chaque phrase, il m'est impossible d'éviter la prononciation des mots: "Tout arrêter". Je n'ose pas croiser son regard, je préfère continuer la découpe du pain, acheté à la boulangerie du village. C'est dans un soupir interminable que mon père quitte la pièce, me laissant dans l'incompréhension totale. Frustrée, je sors de la maison en claquant la porte, dont la peinture vert d'eau commence à s'écailler. " Notre maison vieillit aussi mal que lui" murmuré-je. 

               Agenouillée sur la balançoire de mon enfance, et le timbre de ma voix mélancolique, je chantonne des mélodies. De là où je suis, j'aperçois l'ancienne maison des Harris. Bien qu'elle soit habitée, une impression de vide demeure. La famille Harris avait redonné vie à leur logement, en plantant rosiers et lilas le long de l'allée centrale, ou encore, en peignant d'une jolie nuance de violet les portes et les volets de bois. Partis depuis maintenant douze ans, leur maison a perdu tout son éclat, et les actuels propriétaires, me sont étrangers, à croire qu'ils sont invisibles. Machinalement, je me mets à imaginer des individus, ayant le pouvoir d'invisibilité, et pouvant agir comme il l'entendent, sans se soucier de l'opinion publique. Un désir qui ne pourra jamais être assouvi, s'empare de moi toute entière. Parfois, j'aimerais que les choses se passent bien, selon ma propre volonté, et que personne ne puisse m'interdire quoi que ce soit. Disparaître aux yeux de tous, tout en continuant d'exister, tel serait le remède à chacun de mes maux. Tout en fermant mes paupières lourdes, des milliers de questions s'entassent et peinent à s'éclairer. J'attends plus que tout, la lueur d'un nouveau jour meilleur, car vivre dans ces conditions m'est insupportable, et j'ai la certitude que rester ici ne fera qu'aggraver la situation. Brusquement, je m'écroule par terre, et les mots de ma mère font écho: "Dès que l'appréhension et la peur t'envahiront, il te faudra écouter celui qui ne peut t'abandonner, ton coeur!".

                     Cette déclaration me propulse en avant et je me mets alors à courir jusqu'à ma chambre. Par chance, je remarque que mon père a déserté la maison, certainement au profit d'un lieu où les boissons coulent à flots. Une détermination qui m'est totalement inconnue, va bientôt me donner la possibilité de m'épanouir et de découvrir une autre facette du monde. " Tu vois maman, mon coeur vient de décider, je pars!". Je garde gravée en moi, chaque parole, chaque leçon qu'elle m'a enseignée, ainsi, mon départ est dépourvu de toute crainte, du moins c'est ce que je m'efforce à vouloir penser. C'est engloutie par l'effroi, que je prépare mes affaires. La valise posée sur mon lit, je prends quelques vêtements sur lesquels je pose une photo de ma mère. Une fois le nécessaire rangé au fond du sac, je respire un ultime instant l'odeur singulière de lavande mêlée à celle de la rose , et un sentiment de nostalgie surgit alors, me laissant un pincement au coeur. Tant d'années sont passées depuis l'âge où ma mère me contait des histoires enchantées, le soir, au bord de mon lit et que je frissonnais à l'idée de me retrouver seule dans l'obscurité. Dorénavant, je devrais surmonter toutes les choses qui m'ont effrayée, en n'ayant pour guide qu'un coeur délaissé par une mère aimante. Avec regret, je ferme la porte en tournant la clé, que je décide de garder avec moi, car peut-être qu'un jour, je reviendrai, s'il n'est pas trop tard... Le salon que je dois traversé, semble austère et vétuste, pourtant il y a peu, je le voyais encore frais et égayé par la présence de bouquets printaniers, qui apportaient une note de couleur agréable. Les souvenirs sont nombreux dans chacune des pièces de ma maison, et je crois que cela me manquera quand je serai loin d'ici.

                         Ne pouvant attendre une minute de plus, au risque de croiser mon père, qui je pense n'aquiescera pas ma fuite, je précipite le pas et m'éloigne en longeant la maison des Harris. Mes adieux se font dans un silence, ponctué par le bruit de mes pas sur le sol de la rue Edgar Allan Poe. Mon dernier regard se tourne vers la fenêtre de ma chambre. C'était de là, que je regardais l'horizon quand le quotidien ne me suffisait plus, en me demandant ce qu'il y avait au bout. Aujourd'hui, je m'élance vers cette terre inexplorée, sans prévoir ce qui arrivera, mais avec le destin que mon coeur me dictera. Finalement, une page se tourne pour que s'ouvre un nouveau chapitre de mon histoire. Que vais-je rencontrer ailleurs? N'est-il pas insensé de s'aventurer aveuglément au milieu d'un océan de mystères? Tel me semble le monde: un amoncellement de mystères et d'énigmes à résoudre avant notre dernier soupir. Finalement, me voilà partie seule et pourtant accompagnée par celui qui ne me quittera pas: mon coeur...







Les uns disparaissent...Où les histoires vivent. Découvrez maintenant