Sur le seuil de l'Inconnu

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J'avance encore et encore au milieu de la foule, puis finis par traverser un minuscule parc, où je décide de me poser un court instant. Le banc sur lequel je m'asseois est déjà occupé par une vieille femme, qui me gratifie d'un large sourire à la sincérité touchante. Je lui rends spontanément et reste silencieuse. Je sens que cette dame me regarde avec insistance, comme si elle attendait que l'on se raconte nos vies. Mais la vie que je possède ne se raconte pas, ne doit pas rester dans les mémoires, elle doit simplement s'envoler en fumée, loin, très loin, pour enfin devenir imperceptible aux yeux de tous. Ma vie n'est pas ce genre d'histoire, ni même une histoire au sens stricte du terme... Elle s'efface avant même d'être écrite, elle n'a ni début ni fin, on ne la retiendra donc jamais.

_"Je porte dans mon coeur/Existentielles questions...Je ne puis retourner en arrière/Pour contempler ces plaisirs/Dans les pages de mes souvenirs."

La vieille femme récite soudain un poème, reflet de mes sentiments les plus profonds. A ces mots, j'ai l'impression de sentir une lame transpercer ma poitrine de part en part. Cette inconnue vient de transcrire ma douleur, sans même que je la dévoile. Je jette alors un rapide regard vers elle, afin de relever l'expression de son visage, flétri par le temps. Le sourire qu'elle affiche et ses yeux plongés dans les miens me font frissonner: j'ai si peur que chacun puisse découvrir chaque chose en moi, ces choses que je tente de camoufler de toutes mes forces.

_"Je ne suis pas malheureuse... et je ne suis pas seule!" annoncé-je d'un ton provocateur tout à coup.

A cet instant je ne comprends pas ce qui m'a poussée à dire cela. Je m'en prends à quelqu'un qui n'a rien demandé et qui pourtant paraît comprendre chacune de mes attitudes puisqu'elle me déclare:

_"Je vois la colère qui t'habite et je comprends sa présence... Elle est dûe à des évènements qui ont changé ta vie pour toujours, et tu en as énormément souffert. Tu te demandes certainement comment je sais tout cela? Et bien, tu es celle que j'étais il y a des années, une jeune femme perdue, cherchant à fuir le mal ascendant qui la ronge. J'aimerais te venir en aide, seulement j'en suis incapable, je peux au moins te dire une chose: En fuyant de la sorte tu vas devenir une autre personne, cependant tu ne devras jamais oublier celle que tu étais avant, au risque de le regretter."

Dois-je l'écouter ou bien ignorer ses dires? Je n'en sais plus rien, chacune de mes pensées se confond, le flou est total. Assise ici depuis quelques minutes, ma perception de ce que j'entreprends s'altère, me fait perdre le peu de confiance en moi que je possédais en partant de Dumbale. Une présence étrangère suffit à m'interroger sur mes propres actes, car j'ai cette peur omniprésente de prendre des décisions seule, qui, si elles échouent me rendent unique responsable. Je remarque même que ma fuite n'aurait pas eu lieu sans les échos de ma mère, c'est elle qui m'a poussée aussi loin dans mon choix. Mais alors, suis-je vraiment quelqu'un? Suis-je aussi libre que je pourrais l'imaginer si tout est régi par ce que j'entends d'autrui? Arrêtez-le, arrêtez cet esprit provocateur, et sans cesse en questionnement, il me consume et m'empêche d'avancer comme je le souhaiterais. Pendant que je tente de l'arrêter, le temps s'écoule et la vieille femme s'est dors et déjà volatilisée. Elle s'en est allée alors qu'elle aurait pu m'aider.

Au vue de ma déception, ma tête s'abaisse, et c'est ainsi que mon regard croise un morceau de papier posé sur le banc et soulevé par le vent. Je l'attrape d'un coup furtif avant qu'il ne s'échappe. En le dépliant, je découvre une simple adresse: 3rd Noman's street. N'ayant pas le temps pour une réflexion étoffée au sujet de cet endroit, je m'y rends immédiatement. Toutefois, il m'est impératif de trouver un plan de la ville. En quittant le parc, je repère une immense carte du quartier sur laquelle je l'espère, sera affichée l'adresse que je détiens. En m'approchant, je perds espoir de la voir sous mes yeux: des centaines de rues se croisent, des monuments s'y ajoutent. Puis, en faisant glisser mon doigt sur la rue Elizabeth Ist, je tombe enfin sur la rue que je cherchais. Située, à l'Est du quartier, elle semble minuscule et engloutie par les rues alentours.

Douée d'un grand sens de l'orientation, je démarre ma quête de ce lieu mystérieux, inconnu. Je traverse des endroits, sans encombre, en essayant de ne pas me laisser distraire par les nombreux marginaux que je croise. L'un d'eux a même eu l'audace de proférer des injures à mon égard et de me suivre durant quelques mètres. Cependant, je ne me suis pas laissée abattre par de telles sottises: j'ai continué ma route comme si de rien n'était.

C'est sur cette pensée, que je crois apercevoir la rue Elizabeth Ist. Je précipite le pas, comme si je voulais ressembler à tous ces gens pressés et impassibles. Ce n'est pas le cas, je veux juste découvrir la vérité, la réalité concrète qui se cache derrière ce simple bout de papier. 3rd Noman's street, un nom qui résonne désormais en moi et qui persiste, ne laissant place à aucune autre considération.

Au bout d'une dizaine de mètres, le silence s'installe, la grisaille remplace le soleil scintillant du reste de la ville, les portes autant que les volets des immeubles sont clos. Je viens de changer de décor en un claquement de doigt, et je suis bien la seule à vivre une telle situation. Maintenant, je comprends les origines du nom de la rue: à part mon coeur, nul ne bat, à part mon visage, nul ne se reflète dans la rare fenêtre non recouverte par un volet. Malgré mon mal-être au milieu du néant, malgré mon désir de rebrousser chemin, je vais de l'avant, à la recherche du numéro 3. Sans même avoir le temps de m'interroger, une voix proche et profonde prononce:

_"Suis-moi!"

Je tressaille, en inspectant autour de moi, il n'y a personne. Mon imagination m'aurait-elle encore joué des tours?

_"Ne te pose pas tant de questions et suis-moi." répète cette voix féminine et calme.

_"Comment suivre quelqu'un que je ne vois pas?" posé-je agacée.

Je n'obtiens pas de réponse, seulement un indice de sa part:

_"Tu ne vois pas, tu perçois."

Je ne sais pas si je comprends ce qu'elle veut dire, pourtant je me mets à pénétrer une ruelle étroite et sombre. Plus je m'y enfonce, plus l'impression d'étouffement se fait sentir. En fermant les yeux, je pourrais indéniablement me croire piégée au milieu d'une foule immense et compacte, or le passage est vide.

_"Je t'abandonne ici, tu n'as plus qu'à franchir la porte devant toi. A bientôt!"

La présence vocale s'éclipse, je demeure seule face à cette porte durant un long moment. J'hésite mais finalement, je n'ai plus rien à perdre, j'ai déjà tout perdu. Je tourne donc la poignée et pénètre à l'intérieur.


Les uns disparaissent...Où les histoires vivent. Découvrez maintenant