Dix-huit ans...

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_"Qu'avez-vous à me dire? Je commence à me lasser de ces interrogatoires inutiles?"

Nan?! Ma bouche n'a pas pu faire émaner un tel ton et un tel mépris? Que je le veuille ou non, ces paroles viennent bien du plus profond de mes entrailles. A de pareils mots provocants, tout humain "normal"aurait répondu d'une manière forte, toutefois, cet être au coeur de pierre, demeure stoïque. Il s'avance à pas lourds mais discrets tout en gardant une distance d'au moins 1 mètre entre nous deux. Il a raison, je pourrais lui sauter dessus et lui arracher ses globes oculaires. Ma réputation s'est construite sur ma nature inapprivoisée, le fait que je sois une bête sauvage, ceux qui me connaissent le savent.

Passée cette envie de lui faire part de mon ressenti actuel, du moins partiellement, je lui laisse le temps de construire sa pathétique dissertation. Il déglutit.

_"Je ne pense pas que vous ressortirez en ayant oublié tout ce que j'ai à vous transmettre! Enfin, passons je vous prie. Dans l'optique où vous avez lu mes écrits et écouté mon discours, vous ne devriez pas avoir de mal à affirmer ce qui va suivre et à m'accorder votre confiance..."

Son estime de soi dépasse mes espérances, à croire que j'ai minimisé ses défauts. Suite à cela, il m'explique pour la énième fois les atouts de l'invisibilité et prône encore sa notion de liberté.

_"...J'ai dans les mains, un dossier vous concernant."

Je remarque qu'il s'agit du dossier que tenait l'un des scientifiques en me réveillant brutalement. Essayant de me grandir un peu, je voudrais distinguer mon visage sur la photo, sans y parvenir. Le docteur le tien au plus près de son thorax, ce qui m'en empêche définitivement. Chaque détail remarqué me pousse à hypothétiser le fait qu'ils me connaissent déjà tous: ils savaient quelles raisons m'ont poussée à fuir avant même que je leur dise, ils connaissent mon vrai nom "Doughton" alors que je l'avais remplacé par "Hills", ils possèdent cette photo que je n'ai jamais donnée... Tant de preuves irréfutables.

Ces questions soulevées ont l'air d'atteindre le docteur. Il s'agite, et montre finalement une immense hésitation. Cette attente exaspérante me transforme en un prédateur sautant violemment sur sa proie. Je saisis d'un coup sec le dossier qu'il tient depuis trop longtemps. Cette fois, la photographie n'échappe pas à mon regard inquiet. Les murs bleus qui encadrent ma figure de petite fille, et les dizaines de dessins accrochés aléatoirement dessus, me font rapidement comprendre que c'était dans mon école primaire de Dumbale. J'avais sept ans. Les cheveux noués en une jolie tresse, j'affiche un léger sourire dirigé, me semble-t-il, à l'attention de quelqu'un.

M'étonnant de ne pas m'être fait enlever les fiches de la main, je relève la tête. Devant moi, un bureau déserté par son occupant. Il n'a pas dû assumer sa défaite face à mon entêtement solide comme de l'acier. Je me mets donc à déclamer la petite vingtaine de pages tenue par mes mains si fermes et coordonnées - ma main invisible étant réellement devenue une partie inhérente de ma personne.

_"Dossier Anne Doughton. Née le 23 décembre 1997 à Borwall, ses parents sont Kathleen Ceilzy née à Paris le 22 juillet 1975 et morte le 3 août 2015 à Dumbale et Stephan Doughton né le 17 novembre 1973 à Borwall [...]. Enfant, sans problèmes de santé, ni mentaux ni physiques, elle suit un développement de type normal[...]."

Les informations s'ajoutent sans plus s'arrêter et me donnent le tournis. J'ai le sentiment de me connaître moins que tous ces gens.Je suis décrite au travers de la génétique, de mes aptitudes intellectuelles et mentales.

Lorsque je clôture enfin la première partie, je découvre que je ne suis pas la première vouée à cette modification irréversible: L'invisibilité totale. Je suis la trentième sur la liste. Cela n'est pas dit explicitement, mais je l'ai déduit par rapport à ce qui est écrit sous mes yeux larmoyants. L'incompréhension s'accompagne d'une tristesse folle, car je croyais savoir qui j'étais, qui étaient mes parents, je croyais pouvoir décider de ma vie, de qui l'influencerait, cependant je n'aurais jamais imaginé être pré-destinée à toute cette mascarade. Le couperet devait tomber tôt ou tard, c'est désormais le cas.

Je me sens happée dans un gouffre d'une noirceur affolante, qui ne m'a à aucun moment, donnée la possibilité d'admirer les rayons de lumière de la connaissance, de ma propre existence. Le jour de ma naissance, chacun savait ce qui allait se produire, personne n'ignorait que ma vie était dictée à l'avance. J'étais juste la plus aveugle sur moi-même jusqu'à aujourd'hui. La vérité, mes parents me l'ont cachée à tort, me faisant passer des semaines, des mois et des années mensongers. Leur en vouloir est la seule chose qui me reste à faire en attendant la digestion de ce scénario conçu le 23 décembre.

Les uns disparaissent...Où les histoires vivent. Découvrez maintenant