Chapitre 6

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Les nuits à Mératorine étaient très sombres. Aucune lumière n'émanait de nulle part. Parfois, un feu de cheminée sur le déclin colorait les murs autour d'une fenêtre, mais ça restait très rare. On avait interdit le feu, mais on ne pouvait empêcher les gens de se protéger du froid. On ne pouvait se passer de feu. C'est pourquoi on avait installé des fontaines à de nombreux endroits et creusé des canaux. L'eau pour contrebalancer les flammes. Néanmoins, rester éveillé tard aux lueurs des chandelles était vu comme un acte égoïste et inutile. Autant profiter de la luminosité du jour pour ne pas faire courir de risques à tous les habitants de la ville.

Je n'avais pas besoin de lumière pour traverser ma ville, je la connaissais par cœur, j'y avais toujours vécu et il ne m'était jamais arrivé de m'y perdre. Chaque soir, je sortais pour me rendre à la place centrale pour relever les primes. C'était mon vrai moment de paix celui pendant lequel Logan dormait et n'attendait rien de moi, et comme il se levait tôt, c'était le seul moment où je pouvais m'éloigner sans qu'il puisse me le reprocher.

Les rues paisibles bruissaient de vent et d'eau. Les fontaines relayaient leur clapotis d'un embranchement à l'autre, et une brume épaisse étouffait le son de mes pas. Il faisait froid, et les relents du marais étaient forts et nauséabonds. Je hâtai le pas pour ne pas perdre de temps.

La ville de Mératorine n'était pas immense. Construite sur un cercle parfait, elle était découpée en quartiers symétriques. Au milieu, le centre-ville, avec son immense fontaine et ses échoppes. Autour, le premier cercle était constitué des quartiers résidentiels, toutes les maisons étaient alignées et mitoyennes pour former les rues. Au-delà des quartiers résidentiels, il y avait les places, quatre places où se situaient les échoppes de qualité moindre, les auberges, et toute une ceinture d'habitations plus modestes. Et tout ce qui se trouvait au-delà était appelé la périphérie. Plus on s'éloignait du centre de la ville et plus l'agencement était chaotique. L'auberge où je vivais avec Logan était située à l'extrême nord, en dehors des limites théoriques de la ville. De là, il me fallait peut-être une demi-heure pour atteindre le quartier résidentiel nord, et près d'une heure pour le centre-ville en courant ou en marchant vite. Par contre la nuit, le silence poussant au calme et la luminosité rendant ma route incertaine, c'était plus long. Chaque fois je me disais que j'aurais dû y aller plus tôt, et chaque fois Logan se couchait tellement tard que quand je sortais, il faisait déjà grand nuit.

Parce que la ville était paisible, je perçus les pas qui martelaient les pavés à toute vitesse. Des gens approchaient. Ils étaient plusieurs, et ils venaient dans ma direction, alors prudente, je me cachai dans un coin attendant qu'ils passent. Discrète, je me faufilai derrière les marches d'escalier d'une maison à deux étages. Ils s'arrêtèrent non loin. Je les entendais discuter.

— Elle est loin ?

— Non, elle passe toujours par là, assura l'un d'eux. Et je l'ai entendue...

On me cherchait. Je ne reconnaissais pas les voix, déformées par leurs chuchotements. Je connaissais tous les habitants de cette ville, mais peut-être pas au point de pouvoir les identifier dans la nuit. Je retins mon souffle et attendit qu'ils s'éloignent. Ils n'avaient pas l'air pressés, ils restaient. Bientôt ils se turent et je n'entendis plus rien. Je patientai de longues secondes, me demandant s'ils étaient partis, s'ils s'étaient résignés ou s'ils m'avaient trouvée. Un instant, je crus percevoir le bruit d'une respiration précipité tout près. Alors une torche s'alluma, juste sous mon nez.

Aussi surpris que moi, mon agresseur me frappa avec la torche au visage. Je hurlais, aveuglée et blessée. Les autres arrivaient, mais j'étais coincée dans l'angle des escaliers où je m'étais crue en sécurité. Je posai la main sur mon épée, mais une fois encore la rouille la bloqua au fourreau. Un nouveau coup me fit chuter à terre. Je criais. Personne ne viendrait m'aider et mes agresseurs le savaient autant que moi. Ils se rapprochaient, trop nombreux. Bon sang, mais combien étaient-ils ?

Brave j'essayai de me relever, mais l'un d'eux m'attrapa par les cheveux et me rejeta au sol avec une grimace de dégout. Grâce à la lueur de la torche, je le reconnus enfin. Il s'agissait d'un des types qui m'avait volé les trophées de bandits dans la matinée. Les deux autres devaient être là aussi, même s'ils se tenaient en retrait.

— Fais-lui les poches, ordonna l'un d'eux.

— Tu as voulu faire ta salope, fit un autre. Voilà ce qu'il en coute.

Je tentais de me débattre, alors il projeta ma tête contre le sol. Mon nez craqua en percutant les pavés. Le sang me coula dans la gorge, je suffoquais en proie à la peur et à la douleur qui irradiait de mon visage. Un autre me donna un coup de pied dans le dos, un autre dans le ventre. Je n'étais déjà plus en état de crier tandis qu'ils me rouaient de coups. J'essayai de me protéger avec mes bras, recroquevillée sur moi-même, mais ils étaient trop nombreux et trop forts. Je tentais d'agripper quelque chose, mais on écrasa mes doigts sous le talon d'une botte épaisse. Un dernier choc à la nuque me laissa inerte. Pas tout à fait inconsciente, je les entendis parler sans pouvoir déterminer ce qu'ils disaient. De ma main valide, j'essayai encore de dégainer mon épée, en vain. Le gout du sang dans ma bouche me donnait la nausée. La douleur était si violente partout que je ne savais plus quoi faire pour l'apaiser, je me sentais perdue dans un cauchemar. Je perdis connaissance, mais tandis que je sombrais je perçus nettement l'odeur du feu, la lumière et des cris de terreur. Ce n'était pas les miens. 

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