Chapitre 6

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Comme l'avait prévu Nes, le convoi pour Tiranomé arriva le lendemain matin. Logan et moi nous laissâmes passer les fers et montâmes dans une sorte de fourgon tiré par des chevaux et surveillé par tout un peloton de gardes, et à notre grande surprise, d'un sorcier du feu qui le faisait savoir à grand renfort de menaces pyrotechniques.

Assis côte à côte, Logan et moi passâmes les premières heures du trajet à les écouter discuter. Puis de toute évidence, Logan finit par perdre patience, et s'allongea au fond de la petite carriole mouvante.

— J'imagine que là, tu n'es pas très chaude, souffla-t-il un petit sourire aux lèvres.

— Non, évidemment, répondis-je en montrant les lourds montants de métal qui pesaient sur ses poignets.

Ankylosée, je m'étirai. Je me rendis compte que je souffrais encore. Je l'avais senti à plusieurs reprises hier, mais cette fois, je me contorsionnai pour remonter ma manche afin de vérifier dans quel état était la plaie. Elle était moche, vraiment très moche. Ça avait noirci... Je doutai qu'une plaie normale fasse vraiment ça. Je remarquai alors le regard surpris de Logan.

— C'est le type qui lançait des dards. Il m'en a planté un dans l'épaule.

— Je doute qu'il n'y avait que du somnifère dessus, dit-il en se redresser pour mieux voir.

Il appuya sur la plaie. Je criai. Un des gardes s'approcha pour regarder ce qu'on faisait.

— Elle est blessée et ça s'infecte, se justifia Logan. Vous n'avez pas un peu d'alcool ?

— Reparlez de ça à l'infirmerie de la prison, marmonna l'homme en retournant à sa place dans le convoi.

Il sortit un mouchoir de sa poche, un de ceux sur lequel il nettoyait sa lame habituellement, puis il se rapprocha de mon épaule. Les entraves l'obligeaient à utiliser ses deux mains et ça l'agaçait.

— Je vais t'arranger ça, moi. Accroche-toi.

Je m'agrippai à lui et fermai les yeux. Il posa son mouchoir sur ma plaie et frotta vigoureusement. Pour tenir, je hurlai et comme ce n'était pas suffisant, je donnai un coup de coude dans le mur à côté de moi.

— Vos gueules, gronda un des gardes.

En sueur, je sentis Logan se pencher sur moi et se mettre à sucer la plaie. Il aspira mon sang longuement avant de le recracher dans un coin, puis nettoya avec sa salive.

— C'est rudimentaire, mais ça devrait aller mieux maintenant.

— Merci, répondis-je les dents serrées.

La tête me tournait. Je n'avais jamais été très résistante...

— En plein sur ta cicatrice, ajouta-t-il en se rasseyant. Au moins, si ça laisse une marque, ça ne se verra pas.

J'acquiesçai, mal à l'aise. Il se pencha vers moi et me déposa un baiser sur la joue, un baiser un peu brutal qui me poussa sur le côté.

— Ne l'abime pas, c'est ma signature.

Je lui lançai un regard assassin.

— Ce n'est pas une signature, c'est la preuve que tu es un abrutit fini.

— Plus le temps passe, plus tu me ressembles, rétorqua-t-il.

— Ça me ferait mal.

— Et pourtant.

Il prit mon bras et doucement, en retira le gant.

— Tu te souviens comme tu étais à l'époque ?

Danger. Ce n'était pas la première fois qu'il abordait le sujet, c'était donc encore quelque chose qui le travaillait et qui le faisait déprimer.

— J'étais un peu naïve.

— Ça, tu l'es toujours, souffla-t-il. Et pas qu'un peu.

Il caressa doucement la peau marquée, longeant avec ses doigts l'estafilade qui marquait mon bras de l'épaule au poignet. Il essuya doucement le sang qui coulait de ma plaie, pensif.

— Je voulais juste que tu les laisses tranquilles.

— C'est pas eux, les ennemis... murmura-t-il.

— Pourquoi tu repenses à ça ?

— Parce que je crois que maintenant, tu ne sais plus non plus qui c'est, l'ennemi.

Je le dévisageai surprise.

— Qui est l'ennemi, Maquereau ? demanda-t-il d'une voix douce sans cesser de caresser ma cicatrice.

— C'est Alistair et sa clique.

— Et qui c'était l'ennemi, à l'époque ?

— C'était le réseau de bandit qui pillaient la ville encore et encore, répondis-je perplexe. Où est-ce que tu veux en venir ?

— Tu l'as dit à Nes hier soir, répondit-il en me rendant mon gant. Les ennemis, ils reviendront et ils mettront tout à sac quand ils sauront que nous avons quitté la ville. Mais maintenant que tu as Alistair, tout ça, tu n'en as plus rien à faire.

— Non ! m'insurgeai-je. Je vois plus grand, c'est tout. Alistair a détruit Mératorine. Il va s'en prendre à d'autres villes, il est déjà à l'œuvre. Il faut l'empêcher de tout détruire.

En voyant son sourire, je me sentis bouillir de l'intérieur.

— Il veut libérer les dieux. Et quand les dieux seront revenus, il n'y aura plus rien à faire. Ce sera le chaos, la guerre, la mort partout, comme dans les Légendes.

Le sorcier du feu se rapprocha de la porte et se pencha contre les barreaux pour mieux nous voir.

— Alors quelle est la solution au fait qu'il n'y ait plus d'eau, qu'on soit tous en train de crever à petit feu parce que la terre est pourrie ? demanda-t-il. C'est quoi la solution pour survivre dans un air de plus en plus vicié et putride qui finira par tous nous tuer ?

— La solution, répondis-je d'un air sombre et déterminé, c'est bien les dieux, mais pas comme ça. Il faut les obliger à nous rendre ce qu'ils nous ont volé en rentrant dans leur tombeau sans les laisser sortir. Et s'il a bien été possible de les enfermer, il doit bien être possible de les berner encore.

— Les berner, répéta-t-il aberré. Vous voulez que je vous dise un truc ? Vous ne sortirez jamais de taule. Jamais. Je m'en assurerai, et tous les sorciers s'en assureront aussi.

Il disparut du champ de la lucarne. À côté de moi, Logan applaudit doucement.

— Quoi, fronçai-je.

— Rien, soupira-t-il en s'adossant contre le fond de notre cage, pour fermer les yeux. Tu viens juste de passer encore un stade...

— Un stade dans quoi, demandai-je agacée.

— Dans la mauvaise foi.

— La mauvaise foi ?

Il refusa d'en dire plus. Et moi, je bouillais de l'intérieur. Comment se permettait-il de me parler de mauvaise foi alors que je continuai juste à avancer sur la voie que je m'étais tracée ? Je voulais défendre ma ville d'Alistair, empêcher de laisser sa déesse revenir à l'air libre. J'avais échoué. Mératorine était libre. Le feu était revenu, avec lui, le soleil qui brulait la terre, agressait ma peau et mes yeux et faisait déprimer Logan. L'extension de ma quête ne pouvait être que d'empêcher Alistair d'empirer les choses... Ou encore de repousser Mératorine dans sa tombe. Si un homme avait réussi, pourquoi ne pourrait-on pas le refaire ? 

ServiteurOù les histoires vivent. Découvrez maintenant