Chapitre 9

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Le dieu me dévisageait, surpris. Alors je répétai.

— Non, il n'en est pas question. Je ne soigne pas les gens, moi. Je ne les aime pas, je ne ferais jamais quelque chose comme ça.

— Tu ne les aimes pas ? Pourtant tu les protèges... Tu les défends...

— Ça n'a rien à voir, assurai-je en tentant de me redresser. Et je ne donne pas mon allégeance à un type qui marchande pour offrir son aide. Un type qui se prend pour un dieu.

— Les médecins demandent une rétribution, dit-il avec un sourire indulgent. C'est ma manière d'être payé pour mon aide.

— Je vous l'accorde. Mais moi je refuse. De l'argent, je veux bien, mais mon allégeance, je ne la donne pas. Elle est bien trop précieuse.

Un rire franc explosa derrière nous. Le dieu releva les yeux et pencha la tête sur le côté avec une expression médusée.

— Ça, c'est la meilleure.

Un homme à la peau sombre s'approchait, hilare.

— Comme tu viens de te faire rembarrer ! C'est la meilleure ! Ça commence fort, hein ?

— Métiracon, je pensais être plus en avance que ça, souffla Tisérané qui commençait à perdre patience. Tu tombes assez mal...

— Allez, remet là sur pied, ne te fait pas prier. Ça valait une petite leçon d'humilité, non ?

D'autres hommes approchaient. Le premier était maigre et avait des yeux d'un rouge fou. Le suivant avait un corps musclé et fin, comme taillé dans du métal. Le troisième avait une armure d'or et une épée large et impressionnante. Allongée sur le sol, je les voyais discuter et rire, se taper dans la main, ou au contraire échanger des signes d'hostilité, des regards de mépris. J'agonisais par terre, et pourtant je ne pouvais pas m'empêcher d'observer cette étrange assemblée qui se formait autour de l'autel du héros. D'autres encore approchaient. Il y avait un vieillard avec une canne noueuse, et aussi un enfant avec un sourire malin, qui parlait d'égal à égal avec les adultes. Je voyais la magie dans leurs yeux. Je me rendis compte en les écoutant parler que si j'avais voulu les faire s'entretuer, il n'y aurait rien eu de plus facile. C'était des frères, en constante confrontation et perpétuels rapports de force. Le héros des légendes s'y était surement pris comme ça...

Et puis au milieu d'eux, j'en trouvai un qui, au lieu de plaisanter avec les autres, avait les yeux rivés sur moi. Son regard était sombre, aucune lueur ne brillait dans ses yeux noirs. Avec sa peau trop blanche et ses cheveux noirs, il pouvait facilement passer pour un humain. Mais ce n'en était pas un. Il me sourit.

— Tisé, appela-t-il. Soigne-la.

— Elle ne veut pas, répondit Tisérané en me jetant un regard désolé.

— Toi qui soignes les gens, tu ne sais pas reconnaitre les plaies plus profondes, mon frère, insista-t-il.

— Tu vas me dire que toi si ? Se moqua le dieu de la santé. Toi qui trompes, qui trahis et qui blesses ?

— Allez, dit-il. Ne te fais pas prier, je te devrai une faveur.

— La seule faveur, que je veux, c'est son allégeance, rétorqua-t-il buté.

Alors l'homme aux yeux sombres se pencha vers moi et me dit.

— Accepte. Rien n'est inutile... Tu auras besoin de tout si tu veux atteindre ton but. Ça ne te rendra pas ce que tu as perdu, mais tu pourras te battre encore. N'est-ce pas l'essentiel ?

Je ne sais pas pourquoi, mais je l'ai cru. Alors j'ai regardé Tisérané, et dans un effort surhumain, j'ai dégainé mon épée miteuse et je l'ai laissé tomber. Elle roula jusqu'à ses pieds.

— Oh... Joli, approuva Métiracon amusé.

L'homme en noir approuva et continua à me regarder en silence. Tisérané s'était penché sur moi. Il a posé ses mains sur mon visage et l'a caressé doucement.

— C'est bien, dit-il. Je me satisferai de cette réponse, elle me parait positive.

Une onde douce et bienfaisante coula alors en moi. Je m'en rappelle comme d'un cours d'eau, à la fois doux et froid. Le bruit de l'océan reflua à mes oreilles. Mes mains crispées se détendirent et mes doigts cessèrent de trembler. L'instant d'après, je perdais connaissance. Pas tout à fait, en fait, parce que j'avais conscience de ce qui se trouvait autour de moi. Mon corps se liait à la terre. Je le sentais s'ancrer au sol, je sentais la putréfaction qui le contaminait me donner la nausée, m'atteindre, me pervertir. Pourtant mes doigts se tendaient vers elle, je savais que je pouvais l'atteindre et la sauver, la purifier, lui redonner de la force. Et puis il y avait l'eau. Elle était moindre, mais bien présente. Je la sentais couler, ruisseler autour de moi. Son vice était affaibli, mais bien présent. Elle stagnait, mêlée à la terre. J'étais la terre et l'eau mêlée, j'étais le marais vicié autour de Mératorine, et partout dans le monde.

« Tu n'es pas le marais, souffla la voix du dieu dans ma tête. Tu es Mahault, disciple de Tisérané. »

ServiteurOù les histoires vivent. Découvrez maintenant