Chapitre 17

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Le feu brulait malgré la pluie. Je ne comprenais même pas comment c'était possible. Les gouttes énormes et nocives s'évaporaient dans l'air chaque fois qu'elles tombaient sur les poutres brulantes, dégageant un nuage de vapeurs nauséabondes. Mais d'aucune façon les flammes n'étaient endiguées.

Cette fois, il y avait beaucoup moins de monde, dehors, seuls les propriétaires des maisons en feu étaient là, dont Claude et toutes les filles de son bordel.

Diane toussa longuement avant de se rapprocher de moi. Mais ce n'était rien à côté de son mac qui s'arrachait les poumons.

— Putain, fit-elle dégoutée... Mahault, je ne sais pas ce qu'on va faire... il n'y a plus nulle part où aller... Si la tienne n'avait pas brulé, on serait venu crécher, on aurait été plus près du client, comme ça. Mais... C'est à se demander si ce n'est pas à vous qu'on en veut... On vous prend votre maison, vos poules, et sur la place, il n'y avait pas votre boulangerie ou un truc comme ça, par hasard ?

Je secouai la tête. Peut-être qu'elle avait raison, mais j'en doutais.

Logan était déjà là. Malgré Claude et sa toux monstrueuse, je ne le quittai pas des yeux. Comment avais-je pu ne pas m'apercevoir qu'il n'était pas armé ? Logan était toujours armé, même au lit, même dans son bain. Si son épée n'était pas à sa ceinture, elle était à portée de main. Et moi, je n'avais rien vu ! Je l'avais complètement déshabillé, et je ne m'étais même pas rendu compte qu'il ne portait pas son fourreau... Logan avait peut-être raison, en fin de compte, j'étais moins attentive depuis qu'Alistair était entré dans ma vie.

L'épée de Logan, c'était une arme spéciale, une arme telle qu'on n'en trouvait plus nulle part. La garde torsadée dans un métal pur et sans défaut était parfaitement adaptée à sa main. La lame, à la fois fine est très solide était aussi dangereuse par son tranchant que pour ses vibrations. Elle émettait un chant lorsqu'elle fendait le vent, un sifflement, et quelques notes longues et claires. C'était une arme vraiment très spéciale.

Le feu étant interdit à Mératorine, on n'y trouvait donc pas de forge. Mais dans les autres villes, aucun feu n'était assez fort pour forger une aussi bonne arme. Au final, ça m'arrangeait. J'aimais que Logan soit le seul à porter une arme de qualité. L'idée de savoir que cette arme fabuleuse était entre les mains d'une bande de voleurs me rendait malade. Elle serait probablement revendue, et à coup sûr, elle se retrouverait dans les mains de quelqu'un qui voudrait des noises à Logan... Je ne pouvais pas le supporter. Le simple fait de savoir que cette arme pourrait chanter dans les mains de quelqu'un d'autre me rendait triste. Ce serait comme trahir l'épée que de laisser quelqu'un d'autre s'en servir, il fallait que je fasse quelque chose. Mais quoi ? Je n'avais pas la moindre piste. Tout ce que je connaissais de bandits dans cette ville avait été décimé. Où chercher ?

Logan adapta sa technique en fonction de la situation. Il se plaça devant le bâtiment le plus touché par l'incendie. Je compris qu'il ne croyait pas mon épée capable de tenir deux assauts. Tendu près du feu, Tétanos à la main, il se préparait à détruire la voie de propagation des flammes. Mais cette fois je le sentais mal. Sa posture n'était pas comme d'habitude. Peut-être était-ce l'absence de son épée, ou alors le fait que je l'ai menacé pour qu'il vienne plutôt que de lui faire miroiter une récompense, mais il était différent. Je me trompais sans doute. Il était désormais temps de savoir qui de Logan ou de l'épée était le plus fort.

Je retins mon souffle tandis que Logan restait parfaitement immobile. Et quand enfin il libéra son coup, la pluie cessa de tomber.

Il y eut un long silence. Le bâtiment semblait intact, le feu brulait toujours, et si ce n'était la pluie, rien n'avait changé.

— Il s'est loupé ? demanda Claude surpris.

Alors toute l'eau contenue par le ciel tomba d'un coup. Son poids m'écrasa, je chutai à terre. Claude bascula aussi, je vis plusieurs personnes se redresser tandis que je me relevai. Quant aux bâtiments en flammes, ils étaient éteints. Une épaisse fumée nauséabonde et nocive s'en dégageait. Et il ne pleuvait plus.

— Il a fendu les nuages, soufflai-je.

— Cet homme est un dieu, dit Claude sa voix étrangement altérée.

Je n'eus pas le temps de m'enquérir de son état ou de m'en inquiéter, parce que je vis Logan courir vers moi. J'étais tellement ébahie par ce qu'il venait de se passer que je ne me demandais même pas pourquoi il n'était pas mouillé. Mon Logan était une divinité, un être capable de fendre les nuages. Aucun homme ne pouvait être plus fort que ça. C'était impossible. À cette idée, une bouffée de chaleur me submergea et la tête commença à me tourner.

— Mahault... Bon sang, je t'avais dit de rester à l'intérieur !

Il avait encore prononcé mon nom... Mais ses yeux étaient inquiets. Il laissa tomber Tétanos, ce n'était plus qu'une garde sans lame, et prit ma main.

— Merde, Mahault...

Encore... Comme c'était étrange ! Il avait réellement l'air paniqué.

Claude se tourna vers moi et poussa un petit cri horrifié. J'en fis autant. Elle était couverte de cloques, sa peau rougeoyait striée de sillons creusés dans la chaire, des crevasses qui charriaient l'eau qui ruisselait sur elle, comme de mini rivières suivant leur cour. Alors je regardais ma main que Logan tenait dans la sienne et me rendis compte que j'étais pareille. Comment était-ce possible ? La sensation de brulure m'envahit d'un coup se substituant à la chaleur que je ressentais. Elle n'était pas forte, mais elle était puissante et montait en intensité. Maintenant que j'étais consciente de mon état, je sentais les sillons se creuser, et ma tête me tournait tellement que j'avais l'impression que tout se passait au ralenti. Logan me prit dans ses bras et me souleva. Le changement de position me fit tourner de l'œil. Je ne sais pas par quel miracle je restai consciente.

— Ton sorcier, où ? cria-t-il.

Je ne comprenais pas. La douleur me faisait de plus en plus peur. Je ne souffrais pas encore, mais je sentais que j'allais souffrir, très vite et très fort. Je m'agrippai à lui.

— Où ? insista-t-il paniqué. Où est-ce qu'il habite ?

Mes yeux me faisaient plus mal que tout, je voyais de plus en plus flou. Je perdais pied à cause de la souffrance et de la peur. Je m'entendis lui répondre d'une voix lointaine. Je regardais Claude s'effondrer à côté de moi, puis une autre personne un peu plus loin. Je n'eus bientôt plus la force de garder les yeux ouverts. Je finis par ne plus y parvenir. Puis d'un coup, je sombrai.

ServiteurOù les histoires vivent. Découvrez maintenant