Dans ses yeux

Chapitre 14

-Cet homme là c'est qui? 

Son regard s'assombrit et elle détourna la tête.

-Éden..?

Elle semblait trembler un peu. Je m'approchai doucement mais elle avança d'un pas, vers son lit. Je m'immobilisai. Le silence régnait. Je redirigeai mon regard vers la photo. C'était un homme, assez jeune, debout sur la plage. Il était de profil et regardait vers la mer.

-C'est mon père. Il est parti un peu avant ma naissance.

Je m'étais retournée vers elle. Elle était assise sur son lit et me regardait presque brutalement.

-Je suis désolée...

Elle détourna le regard.

-Je savais pas...

Elle me tournait maintenant le dos.

-Éden...
-Désolée... J'aurais pas dû te répondre aussi sèchement...
-C'est rien... Je comprends... Je me suis mêlée de quelque chose que je n'aurais pas dû...
-Tu n'as rien demandé de mal!

Le silence s'installa à nouveau.

-Mon frère s'en souvient un peu. Il est parti à cause de moi. Ma mère aurait pu avorter. Mais elle ne l'a pas fait. Elle m'a gardée.

J'avais pris sa main.

-C'est pas ta faute.
-Si je n'étais pas née, je n'aurais pas bousillé l'enfance de mon frère ni le bonheur de ma mère.
-Éden...
-Non. C'est comme ça point. C'est tout.
-Pourquoi... Pourquoi ça te touche autant..?

Elle me regardait, interrogative.

-Qu'est ce que tu veux dire?
-Tu ne t'es pas habituée?
-Tu crois qu'on peut s'habituer à ça?
-Oui..?
-Tu t'habituerais à l'absence de ton père?
-S'il n'a jamais été là pour moi oui...
-Et bien pas moi. Il n'y a pas que son absence. C'est la douleur que j'ai causé à ma famille. Ça, ça fait mal. Quand ton plus vieux souvenir c'est voir ta mère pleurer, oui ça fait mal. Et non ça ne passe pas. Quand tu recevais des regards haineux de ton frère qui te reprochait d'avoir fait fuir son père, non tu ne t'habitues pas Charlie.

Je baissai les yeux, honteuse de ma remarque.

-Désolée...
-C'est pas ta faute. Et toi tes parents?
-Ils sont tous les deux là. Ils s'aiment. Je crois.
-C'est bien. Je suis contente pour toi.

Et le silence refit surface.

-On m'a abandonnée aussi.

Les mots m'avaient échappés. Elle me regardait, intriguée.

-C'est pas ma famille. C'était pas à ma naissance. Mais j'ai quand même été lâchée.
-Elle s'appelait comment ?
-Sam. Elle s'appelait Sam.
-Je suis désolée...
-C'est pas ta faute. De toute façon, c'était pas fait pour durer.

Je ris, mauvaise.

-On était pas du même monde. Pas faites pou...
-Tu l'aimais à crever, c'est ça?
-Ouais... Ouais...

J'enfouis mon visage dans mes mains pour que les larmes ne coulent pas.

-Ce soir là,  j'étais seule chez moi. Elle m'a demandé si elle pouvait passer. Sa demande était sèche mais je n'y fis pas attention, elle devait être occupée ou pressée. Une vingtaine de minutes plus tard, elle était à la maison, assise en face de moi. Elle me regardait froidement et je me demandais ce que j'avais fait, encore. Puis elle m'a juste dit ces trois mots. "C'est fini". Elle s'est levée et elle s'est avancée vers la porte. J'ai essayé de la retenir, je m'y suis accrochée. J'ai posé mes lèvres sur les siennes. Elle m'a poussée. Je suis tombée au sol. Elle m'a dit que j'étais pathétique. Et elle est partie en claquant la porte.
-Charlie...
-C'est rien.

Elle me prit dans ses bras.

-J'ai tellement déconné... Si tu savais...
-Chut... Ça va aller...

Les larmes avaient coulé sans que je m'en rende compte. Elle releva mon menton et m'embrassa.

-Jamais je ferai ça. Jamais je ne jouerai avec toi. N'aie pas peur.

Elle m'embrassa encore. Elle déposait des baisers légers comme des hirondelles sur tout mon visage. Sur mes lèvres, sur mes joues, sur mon front. Cet élan de tendresse me fit sourire.

-Merci.
-Merci à toi.

Elle me berçait, doucement, pendant que je caressais ses cheveux.

-LES FILLES, MARTIN ON MANGE!

Elle se décolla de moi en riant.

-Allons manger vaut mieux pas la faire attendre.

Je me levai et lui tendis la main. Elle me la prit en souriant et nous descendîmes. Le repas se passa dans les rires. Martin taquinait sa mère qui riait de bon coeur et Éden n'hésitait pas à rajouter une couche. Ce tableau m'attendrissait et c'est à ce moment que je me rendis compte d'une chose. J'avais vraiment cette fille dans la peau.