Chapitre 16

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[PDV Alice]

Je me réveille dans un lit qui m'est familier, bien que je n'arrive pas à déterminer la cause de cette sensation. Tous mes souvenirs sont flous, comme embués, et je n'arrive à en saisir que de courtes brides. Je regarde autour de moi pour tenter de deviner où je me trouve, mais ne distingue rien dans la pénombre. Je rejette au bout du lit les couvertures qui me protègent. L'air frais s'infiltre sous mes amples vêtements qui me servent de pyjama, aussi j'attrape la veste que je distingue difficilement pliée au bout du lit. Je pose prudemment mes pieds nus sur le sol. Qui m'a emmenée là ? Il me semble... Il me semble que je me trouvais au beau milieu d'une bataille avant de sombrer dans l'inconscience. J'hausse les épaules et m'approche de l'unique sortie visible de la salle.

Je longe le couloir et m'arrête net lorsque j'entends une voix dans la salle la plus proche. Une femme chantonne. Où suis-je donc ? Je regarde furtivement qui s'y trouve et suis béate lorsque je reconnais celle qui me fait face. Un mot, tel une plainte, s'échappe de ma gorge nouée par l'émotion :

- Maman ?!

Elle lève les yeux de son ouvrage et un sourire fend son visage lorsqu'elle me voit. Cela correspond tout à fait à l'idée que j'avais gardée d'elle : une femme joyeuse et bienveillante.

- Ma chérie ! Comment vas-tu ? Tu as passé une bonne nuit ? Et tu n'as pas rencontré de problèmes cette semaine ?

- Que fais-tu là ?

- Quelle drôle de question. Je sais que je suis rentrée quelques heures plus tôt que prévu, mais ce n'est rien d'inhabituel, voyons !

- Mais... tu étais morte ! Les Guerriers de l'Ombre t'ont assassinée il y a plusieurs années de ça !

Ma mère m'adresse une mine inquiète.

- Que me racontes-tu là ?

- Il y avait cette guerre... Et Flavia... L'Ecole du Pouvoir par l'Esprit... Tout est si embrumé.

Je me prends la tête entre les mains. Elle me fait si mal ! Et mes idées sont si confuses ! Je suis tellement heureuse de retrouver ma mère et j'aimerais me blottir contre elle. Mais la situation est bien trop... étrange. Voyant ma confusion, elle s'approche de moi et pose la main sur mon épaule pour tenter de me rassurer. A son contact, mon Pouvoir se met à crépiter violemment et elle retire vivement sa main, comme brûlée.

- Je suis désolée, je ne voulais pas...

- Je le sais bien, Alice. Tu n'as rien à te reprocher, je te l'ai déjà dit. Nous allons vraiment devoir faire quelque chose pour se pouvoir si fluctuant... Maintenant asseyons-nous et tu vas tout me raconter. De quoi te souviens-tu ?

- Je me souviens...

Je me perds dans mes pensées et parle sans m'en rendre compte. Je lui raconte tout : la trahison de Flavia, les attaques des Guerriers de l'Ombre, mon arrivée à l'école, les Mages, les Libérateurs, ma quête du Pouvoir, le rôle qui m'a été confié à l'égard des solitaires, mon retour auprès des Libérateurs et, finalement, la bataille qui s'est menée autour de la Capitale.

Elle m'écoute jusqu'au bout, sans m'interrompre une seule fois, ne faisant que frémir de façon quasiment imperceptible à certains passages de mon histoire. Lorsque je me tais enfin, elle reste silencieuse quelques instants, ses yeux m'analysant de façon méthodique.

- Dans ce cas... Te souviens-tu de ta vie ? De ce que tu as réellement vécu durant toutes ces années ?

J'hausse les épaules. Suis-je devenue amnésique, basant ma vie sur un rêve ? Ou suis-je, en ce moment même, en train de rêver ? Un rêve drôlement réaliste... Je me racle la gorge avant de reprendre la parole.

- Que penses-tu de cela ?

- Je ne sais pas vraiment... Ta vie a été compliquée ces derniers temps. Peut-être as-tu choisi de te réfugier dans ce rêve héroïque. Tu as tant de mal à contrôler ton Pouvoir, il est compréhensible que tu cherches à te rassurer en plongeant dans ce monde où tu es la seule à le contrôler tout à fait. A la tête d'une armée, tu es enfin écoutée et admirée. Qui ne rêverait pas d'une telle vie ?

- Mais j'ai aussi ressenti énormément de souffrance... Pourquoi se trouve-t-elle dans ce rêve s'il représente la vie que je désire ?

- Peut-être n'est-elle que le symbole de ton mal-être réel, que c'est le moyen de relier le rêve à ton existence.

- Donc rien de tout cela n'est réel ?

- Je crains que non.

Elle me regarde avec compassion tandis que j'essaie de comprendre ce que cela implique.

- Raconte-moi ma vie.

- Par où commencer... Nous vivons éloignées des villes, Flavia, toi et moi. Parfois, je m'en vais à la Capitale pendant plusieurs jours et y travaille afin de subvenir à nos besoins... Il n'existe pas de Guerriers de l'Ombre mais une région proche nous a récemment déclaré la guerre. Tu as découvert ton Pouvoir quelques années auparavant. Jusque-là, il était plutôt faible, mais il a récemment augmenté en puissance et tu n'arrives plus à le contrôler...

- Bonjour tout le monde.

Cette interruption inattendue me fait sursauter. Je me retourne vers Flavia et la dévisage longuement. Peut-être trop longuement à son goût, car elle en profite pour me faire une grimace et me tirer la langue avant de se diriger vers la table et débuter son déjeuner.

- Tu as passé une bonne semaine maman ? Pas trop fatiguée ?

- Tout s'est bien passé, je t'en remercie.

- Parfait.

Elle prend une bouchée de son repas avant d'enchaîner.

- Prenez garde aux Guerriers de l'Ombre...

- Que dis-tu ?

Flavia marque un temps de surprise suite à la question de ma mère et répond finalement :

- Mais je n'ai rien dit, maman.

Elle esquisse un sourire intrigué puis se tourne vers moi.

- Des nouvelles concernant ton Pouvoir ? J'ai entendu que vous en parliez lorsque je suis arrivée.

J'hausse les épaules. Qu'aurais-je pu lui répondre ?

- D'accord, tu n'es pas d'humeur bavarde ce matin. Message reçu !

Elle continue son repas en faisant la conversation à notre mère. Cette situation est tout à fait surréaliste. J'ignore leur discussion et me focalise sur mes pensées. Si mes souvenirs ne sont qu'un rêve, les Libérateurs n'existent pas, Gabriel n'existe pas, les efforts que nous avons fournis n'existent pas... Je me relève brusquement à cause d'une subite sensation d'étouffement et sort au plus vite de cette maison. J'entends ma mère m'appeler mais m'enfuis en courant dans la forêt. Je m'arrête après de longues minutes et m'assoie, adossée à un arbre. Je regarde autour de moi. La forêt a toujours eu le don de m'apaiser. Et lorsque je dis « toujours », j'entends « tout au long de cette vie qui est la seule dont je me souvienne ». Je me laisse bercer par le bruit du vent dans les feuilles. Il manque quelque chose... A peine cette pensée m'effleure-t-elle que je repère enfin le bruit attendu des oiseaux qui gazouillent. Etrange... Je ne m'y attarde pas. Tant de questions se bousculent déjà dans ma tête.

Rêve ou réalité ? Je pèse le pour et le contre. Je ne me souviens que de cette vie sans ma famille, celle dont ma mère me parle n'existe pas à mes yeux, et cette phrase qu'a dit Flavia... Pourquoi l'a-t-elle prononcée ? D'un autre côté...Ma vie était bien trop héroïque, il n'y a que dans les histoires que quelqu'un peut espérer mener la vie que j'ai eue. Puis il y avait des ogres et des trolls qui servaient les Guerriers de l'Ombre... Il est bien connu que ces créatures n'existent pas. Et la Flavia d'ici correspond tellement à la fille qu'elle aurait pu être. Je ferme les yeux et inspire profondément. Seul l'avenir nous le dira...    

En quête du PouvoirOù les histoires vivent. Découvrez maintenant