Question de temps

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- J'ai manqué quoi ? demanda Skread en s'installant.
- La bipolarité de Claude, répondit Ablaye, observant toujours le bar.
- Qu'est-ce qu'il a fait encore ?
- Gringe draguait une meuf que Claude lui avait montré, comme d'hab. Et là, il s'est levé en gueulant.
- Et il fait quoi au juste ?
- Je crois qu'il nique simplement le plan de Gringe, mais je t'avoue que je comprend pas grand chose.

Claude s'était levé en hurlant pour une bonne raison : la tête qu'avait fait Aurélien en voyant Guillaume partir.
Il n'allait pas laissé ce con faire tout foirer, il ne pouvait pas rester là à rien foutre.
"En plus, si il y a moyen pour que ce soit moi qui la chope", pensa Claude.

Il avait poussé le tabouret de Guillaume, de manière à rester debout entre ces deux-là.

- Je t'ai cherché partout, tu foutais qu.. Oh bonsoir mademoiselle, je ne vous avais pas vue, fit Claude en faisant une réverance tout à fait ridicule, ce qui fit rire la jeune fille de plus belle. Tu t'appelles ?
- Éléanore, fit-elle d'une voix douce.
- Très joli nom, dit Claude, n'ayant pas du tout compris ce qu'elle lui avait répondu. Tu imagines bien que mon ami, Guillaume, m'a lâché dès qu'il t'a vu !
- Oh, je suis flattée, lança-t-elle en riant.
- Eh bien déflattes-toi tout de suite ma petite euh..., dit Claude en essayant de retrouver le prénom qu'il n'avait pas entendu.
- Éléanore, marmonna Gringe, exaspéré.
- Exact. Déflattes-toi Aurore parce que figure-toi que cette petite tête - il mit une claque à l'arrière du crâne de Gringe - est en couple ! Et oui, il est casé, ma jolie Bouton d'Or.
- Éléanore, réctifia la jeune femme, un peu étonnée.
- Elle va arrêter de répéter son nom en boucle ? Tu peux t'appeler Arrosoir il n'en a rien à foutre puisqu'il est casé, siffla Claude en admirant le visage de la demoiselle se décomposer lentement.
- Je ne le savais pas, il ne l'avait pas mentionné, cracha-t-elle.
- Je sais bien, c'est comme ça les mecs en couple ma poupée. Ce qui n'est pas mon cas, si tu vois où je veux en venir...
- Non merci, lâcha-t-elle. Je vais juste m'en aller. Je te remercie d'avoir interrompu notre discussion, dit-elle en dévisageant Guillaume.
- À plus ma jolie ! gueula Claude, fier de lui.

Il se tourna vers Gringe, perdant son sourire :

- Tu joues à quoi, au juste ? lui demanda-t-il avant que Gringe ne puisse placer un mot.
- Je te retourne la question.
- De quoi est-ce qu'on a discuté l'autre jour mon coco ?
- Du fait que tu n'étais au courant de rien, et que tu n'allais pas intervenir ou ouvrir ta gueule.

Claude fit un pas en arrière, et étendit son bras en direction de la table où il se trouvait 2 minutes plus tôt :

- Tu devrais éviter de faire ça quand Orel est à 4 mètres, dit-il tout bas, ce qui n'était pas dans les habitudes de Claude.
- Il est 2 heures du mat', je suis bourré. Je n'allais rien faire de mal, je voulais m'amuser. Alors tu ne vas pas me prendre la tête avec ça, parce qu'Orel n'est même plus assis là, dit Gringe.

Claude tourna la tête et vit Orel pousser la porte de la boîte et sortir.

- Mais ça t'arrive de réfléchir mon con ? Tu vois pas qu'il est en train de se tirer ?

Guillaume jeta un oeil à la porte dont Claude parlait, soupira, et dit froidement :

- Reste en dehors de ça.

Il se leva, traversa la boîte rapidement et sorti.

*

Gringe trouva immédiatement son ami qui fumait à quelques mètres de la sortie. Il se posta à côté d'Orel, et regarda droit devant lui en allumant également une cigarette.

- Je ne l'ai pas touchée, avoua Guillaume.
- Tu m'en vois ravi, souri faiblement Aurélien, visiblement fatigué.

Il ne s'attendait pas à cette réaction là, il avait l'air d'en avoir strictement rien à foutre.
Et c'est dommage, parce que Gringe savait que si Claude n'avait pas réagit, il serait probablement allé trop loin, bien trop loin avec la jeune femme. Et aurait regretté amèrement.
Mais ça ne s'était pas passé, alors il se gardait bien d'évoquer ça.

- Qu'est-ce qu'il se passe ? demanda Gringe en se tournant vers son pote.

Le profil d'Aurélien lui faisait étrangement de la peine. Son regard levé vers le ciel était sans éclat. Il avait presque l'air d'être mort de l'intérieur, d'être un robot qui inspirait cette fumée grise et l'expirait dans les secondes qui suivait. Aucun sourire ne se dessinait sur ses lèvres et venait orner son visage.

Triste tableau.

- Hey, Orel. Qu'est-ce qui va pas ? insista Gringe.

Il avait envie de le prendre dans ses bras, de lui promettre des choses absurdes. Mais il ne pouvait pas le faire.
Enfin, techniquement il pouvait.
Mais bon.

- Je suis juste pas très bien, j'ai bu et je me sens fatigué. Je voulais juste fumer, peut-être rentrer. Mais tout va bien.
- Regarde-moi, dit Gringe à voix basse.

Orel tourna la tête, et fixa son regard vide dans celui de Gringe.

- Qu'est-ce qu'il ne va pas ? répéta-t-il.
- Je me pose des questions, dit Aurélien en regardant à nouveau en face de lui.
- Si c'est par rapport à tout à l'heure, saches que je suis désolé, j'aurais pas du me ...
- C'est pas ça, le coupa sèchement Aurélien. À vrai dire j'en avais quelque chose à faire sur le moment mais faut croire que je te fais confiance.

Le ventre de Guillaume se tordit. Il lui faisait confiance.

"Si tu savais quelle connerie tu fais" pensa-t-il.

Aurélien reprit :

- Je me pose juste le genre de questions stupides qu'on s'est déjà posées, et je me demande comment gérer ça en publique, je me demande si je vais réussir à...
- Wow. Doucement. Je pourrais te dire qu'on s'en tape du regard des autres mais je ne vais pas te mentir. Ce n'est pas d'ici demain que je mettrai ma langue dans ta bouche en plein centre-ville.

Aurélien rigola doucement, ce qui redonna un peu de force à Gringe.

- Mais je suis là, c'est un truc qu'on va devoir gérer à deux, repris Gringe en parlant doucement et jetant des regards autour d'eux. Ça va prendre beaucoup de temps, mais on en discutera ensemble. Le but pour l'instant, c'est juste de paraître le plus "comme d'habitude" possible en public, et ça nous laisse le temps de choisir pour la suite.
- Et si on gaffe ?
- Pourquoi on ferait ça ?
- L'alcool, l'excitation, j'sais pas mais par contre, ce que je sais, c'est qu'on en est capable, de faire une belle connerie.
- Eh bah on verra bien, annonça Guillaume, ne sachant pas quoi dire d'autre.
- D'accord.

Aurélien écrasa son mégot et Guillaume en fit de même, puis ils reprenèrent leur soirée là où il l'avait laissée.

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