Nouvelle héritière

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Je cogne à sa porte, un paquet derrière le dos. Elle me dit péniblement d'entrer. Je suis surprise de voir la jeune femme qui vient de perdre son frère pleure aussi peu. Je m'attendais plutôt à ce qu'elle pleure sans arrêt et qu'elle soit incapable de parler. Je crois qu'elle ne l'a pas encore totalement réalisé. Il va falloir que je la soutienne du mieux que je peux.

- Puis-je faire quelque chose pour vous?
- Je voudrais discuter ... snif... avec toi. De n'importe quoi... pour me changer les idées... snif... et qui ne me fera pas penser... que je suis la nouvelle ... snif snif... héritière.

C'est vrai, ici l'héritier est l'ainé des enfants. Ça doit être un choc d'apprendre tout cela aussi vite .Je m'assieds près d'elle, sur son lit. Ça ne la dérange jamais.

-Et bien... Je vous remercie pour votre cadeau, c'est formidable. Vous avez dû y consacrer beaucoup  de temps.

- Oui... Peut-être deux ans. Mais j'avais l'espoir de le retrouver pour ta famille... snif...bien sûr, mais spécialement toi. Tu es merveilleuse.

-Vous aussi. Ce que vous venez de m'offrir le prouve amplement.

-Merci.

Je lui donne le paquet que je cachais. C'est son cadeau de Noël.
Valencia, intriguée, le déballe. Elle en sort une jolie cape noire de velours brodée de lunes argentées dans le bas.

-Joyeux Noël!

-Wow! C'est trop! Comment as-tu fais?

-J'ai eu la permission d'emprunter le tissus et tout le reste. Ma mère m'as appris comment faire et c'est moi qui l'ai fait.

-Merci! Merci beaucoup!

Elle me sert dans ses bras et je fais de même. Je suis contente mon cadeau lui plaise.Je pense soudainement que Léonard voulait la voir. Je me recule.

-Avez-vous vu mon mémo?

-Non, pourquoi?

-Le prince Léonard voulait vous voir. Il s'inquiétait à votre sujet.

-Je vais y aller. Merci encore.

-Ce n'est rien.

Je sors de sa chambre. J'entends un éclatement de sanglot ou un fou rire retenu produit par Valencia , toujours à l'intérieur. Elle doit pleurer, elle ne peut pas être joyeuse, à moins qu'elle soit encore charmée par ma surprise.

Le lendemain matin, j'apprends que le roi de France retourne dans son pays, sans le prince. Il a demandé de rester pour soutenir la famille royale, surtout son amoureuse. C'est mignon. Ils ont accepté, évidemment.

Les jours suivants, le château est calme. Le couple royal annonce la mauvaise nouvelle avec le plus de calme possible mais je comprends que ça devait être difficile. J'ai regardé la rediffusion à la télévision de la salle à manger des domestiques. Je n'ai pas voulu assisté en direct dans le studio, seulement parce que je ne voulais que le roi et la reine aient une paire de yeux qui les fixent pendant qu'ils annoncent que leur fils aîné est décédé.

Aux funérailles, il y a seulement les gens qui vivent dans le château, ce qui est déjà beaucoup. Maintenant, c'est Valencia qui pleure le plus et Léonard reste à ses côtés, en lui chuchotant des mots à l'oreille, sûrement pour la réconforter. Pauvre elle, ça semble vraiment difficile, encore plus pour elle que pour son frère, sa sœur ou même ses parents. Je crois que la princesse était plus proche de Lamberto que je ne le pensais. Valencia faisait tellement pitié que j'ai eu de la misère à retenir mes larmes lors de l'enterrement.

Le même jour, lorsque la cérémonie est finie et que j'ai à peu près retrouver le sourire, je suis en chemin pour lui apporter quelques robes colorées, puisque la semaine de noir et de deuil est terminée. Pareil pour le reste de la famille royale.Je trouve que c'est assez long. Il y a très, très longtemps, les endeuillés devaient porter que du noir pendant un an. J'en serais incapable, j'aime trop les couleurs. Je crois que le sobre changerait non seulement mon allure mais aussi mon humeur. Le coloré me rend plus vivante.

Juste avant de cogner à la porte de la princesse je l'entend dire discrètement à quelqu'un:

- J'ai donné le change, mais il reste encore mes parents. Ce fut trop long. Il faut quelque chose de plus rapide la prochaine fois...

Je ne sais pas trop de quoi elle parle mais je cogne quand même.
C'est le prince français qui me reçoit. Une petite courbette et je dis:

-J'ai des vêtements pour sa majesté Valencia, est-elle là?

Ma question donne encore plus l'impression que je n'ai rien entendu. Valencia se joint à nous, un peu bizarre.

-Oui... Oui! Je suis là. Merci. Au revoir, je n'ai besoin de rien.

Puis elle referme la porte. Juste après, Juana passe dans le corridor, ce qui pourrait donner l'impression aux amoureux que c'est moi qui partait. Je reste donc quelques minutes, têtue et intriguée, tout en surveillant mes arrières. Après une minute de silence , ils repartent leur conversation, ce qui rend la situation de plus en plus étrange. C'est Léonard qui commence:

- Pas trop vite, sinon, ça va paraître louche. Mais je crois qu'on pourrait régler ça en un mois, chacun à quelques jours d'intervalle.

Mais de QUOI parlent-ils? Je risque de rester encore un peu.

- D'accord, mon amour, tu as raison. Ne gaspillons pas notre temps pour Marita et Ragüel, de toute façon, ils sont plus jeunes.

- Penses-tu que quelqu'un est au courant?

Valencia répond plus bas:

-Que nous allons tuer mes parents? Non. Si par hasard cela arrivait, je m'arrangerais pour le faire disparaître sur-le-champs.

QUOI? Ma maîtresse et son prince sont des tueurs?! Je tombe sur le plancher lustré. Je retiens mon souffle... Je pense: N'ouvrez pas la porte, n'ouvrez surtout pas la porte... Je ne veux pas mourir!
Après un moment, ils continuent leur conversation. Ouf! Je n'arrive pas à y croire! Il faut bien que je le dise à quelqu'un. Sinon, ses Altesses royales Emilio et Inès vont mourir! Quand je pense que la princesse et Léonard veulent juste le trône! Tout le monde a été berné, même moi, sa servante, qui passe beaucoup de temps avec elle ou dans sa chambre. Je me retiens d'émettre n'importe quel son et je vais très discrètement, question  de vie ou de mort, dans ma chambre. Dès que j'y entre, je commence à pleurer comme une madeleine. Qu'est-ce que je vais faire? Je ne peux pas le dire au roi et à la reine. Même s'ils sont gentils, je comprends qu'il croiront leur fille plus que moi. Marita aussi. Ma famille et les serviteurs n'ont pas plus de pouvoir que moi sur la situation. Je ne le dirai pas non plus à grand-père quand il arrivera, Valencia a été trop gentille avec lui.

Il me reste qu'un seul choix, une personne qui n'a jamais été très proche de Valencia et certainement pas de moi. Mais il a du pouvoir, lui.

Après notre  fuite en EspagneOù les histoires vivent. Découvrez maintenant