Deux décembre - Ange

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La jeune femme finit d'enfiler sa cape, pensant à la longue journée qui commençait. Beaucoup de travail en perspective, mais si elle pouvait un peu soulager certaines souffrances, alors elle n'était pas totalement inutile. Elle se tourna vers son père qui l'attendait, déjà prêt, lui.

Le médecin était très apprécié de ses patients pour ses compétences. Il n'était pas question de partir en retard pour sa tournée au domicile des malades ne pouvant se déplacer jusqu'à son cabinet, situé sur les bords de la Saône. Sa fille était une bonne infirmière, et il était satisfait de son travail, bien qu'elle lui semblait encore si jeune.

Patient après patient, la jeune femme piqua, refit des pansements, prit soin de chacun. Les sourires de ces pauvres gens réchauffaient son cœur. Certes, il y avait des patients acariâtres. Elle redoublait d'autant plus de gentillesse, de patience et de zèle pour ceux-là.

Le temps passa, et le médecin, devenu vieux, mourût. Sa fille se trouva désemparée. Néanmoins, que pouvait-elle faire d'autre que de continuer son travail d'infirmière ? Elle n'avait pas de mari, pas d'enfant. Elle avait ses malades, ses chers malades. Il fallait que quelqu'un continue à prendre soin d'eux.

Jour après jour, l'infirmière continua son dur travail, soignant les corps comme les âmes, réalisant des soins simples comme des plus compliqués, faisant aussi la toilette de certains patients, pour des personnes de tout âge, du tout petit bébé à la personne âgée en fin de vie. Et c'est ainsi que les années passèrent, dans le dévouement à cette noble et belle tâche à laquelle elle avait consacré sa vie. Refusant d'écouter ses propres douleurs, refusant d'écouter les limites de son corps.

Un jour, malheureusement, cette belle mécanique se grippa. Le temps avait passé, et l'infirmière était devenue une femme d'âge mûr. Épuisée, une nuit, elle était tombée dans les raides escaliers en bois de sa maison. La chute avait été impressionnante. Les os de son bras droit étaient dans un tel état que les médecins qui l'opérèrent eurent l'impression d'avoir affaire à un puzzle.

Suite à cela, la femme fut forcée de prendre un repos prolongé et, finalement, d'arrêter de travailler. Partir à la retraite fut un vrai crève-cœur, pour elle. Elle avait l'impression d'abandonner ses malades et se sentit brusquement inutile.

C'est avec surprise et émotion qu'elle reçut alors de nombreux témoignages de reconnaissance pour ses longues années de dévouement. Des lettres, des fleurs, des chocolats... Elle avait toujours considéré ce qu'elle faisait comme normal, c'était son devoir. Tous ces gestes lui firent chaud au cœur.

Le temps passa encore et l'infirmière devint une très vieille femme. À son tour, elle eut besoin des services d'une infirmière à domicile pour prendre soin d'elle. Elle était heureuse de parler de leur beau métier avec celles qui se relayaient auprès d'elle. Chaque jour, elle était attentive à leur faciliter la tâche, ne pas les ennuyer plus que nécessaire.

Ce fut un vrai déchirement pour la vieille femme lorsqu'elle ne put plus rester chez elle et qu'elle fut forcée de partir en maison de retraite. Se retrouver malade au milieu des malades, voilà l'impression que cela lui faisait. Le temps où elle pouvait aider les autres, soulager un peu leurs souffrances lui semblait bien loin.

Au soir d'une très longue vie, comme une bougie dont la flamme vacille lorsqu'il ne reste presque plus de cire, l'infirmière s'éteignit. Ses dernières pensées furent pour sa famille, mais aussi pour les très nombreux malades dont elle avait pris soin, au fil des années...

*** Ce texte a été écrit en hommage à ma chère grand-tante, infirmière si dévouée... ***

PianissimoOù les histoires vivent. Découvrez maintenant