La jeune femme avait bientôt fini ses études de théologie. Elle se passionnait notamment pour les différentes représentations de la Sainte Vierge. Pour son anniversaire, son mari lui avait offert un voyage à travers le Mexique, à la riche iconographie religieuse. Ils mangeaient dans des puestos, écoutaient jouer les mariachis et les marimbas. Ils visitaient des centres historiques et des cités préhispaniques.
Deux jours avant de rentrer en Europe, la tête pleine de souvenirs et le sourire aux lèvres, ils visitèrent le centre ville de Mexico. Évidemment, la jeune femme entraîna son époux dans l'église San Francisco. Alors qu'elle s'approchait de l'autel dédié à la Vierge Marie, son regard fut accroché par une petite image en papier posée aux pieds de la statue.
L'image était en noir et blanc et représentait une femme typiquement hispanique portant un châle et des vêtements en dentelle noire... qui semblait pleurer des larmes de sang. Cela surprit la jeune femme, qui ne pensait pas voir ce genre de représentations de la Vierge Marie au Mexique, même si elle savait que c'était arrivé notamment à une statue japonaise.
— C'est la Llorona, entendit-elle dans un mauvais anglais.
La jeune femme se retourna. Un vieil homme se tenait près d'elle, sourire aux lèvres.
— Je ne sais pas pourquoi elle est là. C'est une histoire très célèbre, ici.
— La Llorona ? Ça me dit quelque chose...
— Ça veut dire la pleureuse, reprit l'homme.
— Ah oui, je vois ! Il y a plusieurs versions de cette légende, c'est bien ça ?
Le vieil homme opina gravement en silence puis désigna l'image du doigt. La jeune femme porta à nouveau son regard dessus et, prise d'une impulsion, la retourna pour lire ce qui était écrit au dos, en espagnol et en anglais.
« La Llorona
C'est l'une des légendes mexicaines les plus connues. Il en existe plusieurs versions, mais la plus populaire raconte que, au milieu du XVIe siècle les habitants de l'ancienne Tenochtitlán fermaient portes et fenêtres, et toutes les nuits certains se réveillaient au son des pleurs d'une femme qui déambulait dans les rues.
Ceux qui s'enquirent de la cause des pleurs durant les nuits de pleine lune dirent que la lumière leur permettait de voir que les rues se remplissaient d'un brouillard épais au ras du sol. Ils voyaient aussi une personne semblable à une femme, vêtue de blanc et le visage recouvert d'un voile, parcourant les rues à pas lents dans toutes les directions de la ville.
Mais elle s'arrêtait toujours sur la grand place (Zócalo) pour s'agenouiller et lever son visage vers l'est, puis elle se levait et reprenait sa route. Arrivée sur la rive du lac de Texcoco, elle disparaissait. Peu se risquèrent à s'approcher de la manifestation fantomatique, mais ils apprenaient des révélations effrayantes, ou mouraient.
La version originale de la légende est d'origine mexica. Cette mystérieuse femme serait la déesse Cihuacóatl, vêtue comme une dame de cour précolombienne, qui criait lors de la Conquête du Mexique : « Oh, mes enfants ! Où pourrais-je vous emporter pour ne pas tous vous perdre ? » en annonce de terribles événements. »
La jeune femme interrompit sa lecture et déglutit. Elle releva la tête vers son interlocuteur en l'entendant reprendre la parole.
— Mais qui sait... Peut-être que Cihuacóatl a trouvé un moyen de garder ses enfants.
Il souriait et avait un regard doux et paisible.
— Tout va bien chérie ?
La jeune femme se retourna vers son mari.
— Oui, je discutais avec ce monsieur de la Llorona.
— Qui ça ?
La jeune femme le regarda avec incrédulité avant de se tourner vers le vieil homme. Celui-ci avait disparu.
Bouleversée, elle ressentit le besoin de sortir de la vieille église. Le chaud soleil mexicain la remit d'aplomb, tandis qu'elle racontait à son mari la drôle de rencontre qu'elle venait de faire.
Le jeune homme se renseigna et découvrit que le lac dans lequel la Llorona disparaissait avait été asséché afin d'éviter les inondations. Il existait pourtant toujours un marais salant de quelques kilomètres carrés à cet endroit-là. Comme il leur restait une journée complète à passer à Mexico, ils décidèrent de s'y rendre.
La journée fut ensoleillée et plaisante. Alors que celle-ci tirait à sa fin, la jeune femme sortit la représentation de la Llorona, qu'elle avait machinalement gardée en quittant l'église la veille, et dont elle n'avait pu se séparer depuis. Guidée par l'instinct, ou par elle ne savait quoi, elle s'approcha du marais salant et déposa l'image sur les cristaux de sel qui se formaient à la surface de l'eau.
Atteignant le col des montagnes alentours, le soleil les éblouit tous deux quelques secondes. Les jeunes gens se frottèrent les yeux, puis retournèrent à leur observation de la Llorona.
L'image avait disparu.
Le lendemain, alors qu'ils allaient embarquer à bord de leur avion, la jeune femme croisa un vieillard avec un doux sourire. En la voyant, il hocha la tête avec satisfaction.
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Ce texte a été en grande partie écrit par ma meilleure amie, Steamboat Willie, qui a été davantage inspirée que moi par le thème. Elle m'a autorisée à remanier à ma sauce et publier le résultat, qu'elle a eu la gentillesse de relire et d'approuver. Le texte au dos de l'image provient de Wikipedia.
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Pianissimo
Cerita PendekVingt-quatre jeunes femmes différentes, vingt-quatre textes pour un calendrier de l'Avent très spécial... Il fait froid, les jours sont de plus en plus courts, les feuilles mortes sont tombées et la terre semble se reposer. Tout est prêt à renaî...