4. La Parade du Cuistre

Chapitre 1 : Un Humble Exorciste

Aliénor avisa les personnes autour d'elle. Le repas ayant été consommé depuis une heure déjà, les invités des Millicents se dirigeaient vers la salle de bal. Diantre, cette pièce n'avait jamais autant servi que depuis ces dernières semaines !

De simples festivités bien commodes pour respecter les besoins de mondanités des aristocrates, ils étaient passés à un véritable marathon avec le mariage d'Aurore. Cela faisait, quoi ? Un mois et demi que des étrangers se trouvaient dans le château ?

Tout cela au pire moment de notre histoire, songea Aliénor.

Car dans sa bonté suprême, Oncle Oscar, incube de naissance, exilé infernal de son état et ancien Duc de Millicent, leur en voulait passablement. En près de trente ans, il avait acquis une certaine puissance en Enfer, où le Diable son père régnait en maitre. De fait, il était désormais assez solide pour accomplir sa vengeance sur les Millicent.

Heureusement, ses agissements avaient également dérangé d'autres démons. Notamment le Duc Bérith.

-Vous élégance n'a d'égale que votre beauté, mademoiselle Aliénor.

Ha. La jeune femme considéra l'homme qui venait de l'aborder. Le Comte Jehan lui offrit un beau sourire, ainsi que sa main. Elle l'accepta avec un petit hochement de tête poli. Là était l'autre souci. La chasse à la fiancée était ouverte, et contre toute attente, Aliénor semblait être une prise de choix. Fille de Duc, future belle-sœur du Duc de Lucassi et sœur du Marquis d'Aresac, un mariage avec elle était stratégique. Qui s'attirait ses bonnes grâces s'attirait également celles de sa famille. Tout n'était que faux-semblant. Si on lui souriait, ce n'était pas pour elle, mais pour ce qu'elle représentait.

Aucun de ces hypocrites ne poserait la main sur elle, foi d'Aliénor de Millicent.

Le tout était de ne pas se retrouver dans une situation compromettante avec l'un de ces messieurs. Encore, si un membre de sa famille la découvrait, il n'y aurait pas de problème, ils se tairaient. Mais si un inconnu, ou si Mamie Millicent la trouvait en mauvaise posture, s'en était fini d'elle. Elle se retrouverait mariée et mère d'une ribambelle d'enfants avant d'avoir pu dire non.

Or, elle ne pouvait pas non plus épouser un humain. Car si elle parvenait à dissimuler son état à son mari, ce dernier se rendrait immanquablement compte de la supercherie à la naissance d'un enfançon.

Car Aliénor était, pour le meilleur et pour le pire, une louve-garou et une fée. Ce n'était pas le métissage le plus discret qui soit, si vous voulez son avis.

-M'accorderez-vous la première danse, mademoiselle ? s'enquit monsieur Jehan.

-Mmh... Pourquoi pas ?

Ils entrèrent dans l'immense salle de bain. Le parquet en chêne doré disparaissait sous les talonnettes et les robes volumineuses, mais les lustres en cristaux dominaient la scène, l'illuminant de mille feux. Au fond, un orchestre entamait les premières mesures d'un morceau. Sans attendre, le Comte et elle rejoignirent les rangs des danseurs.

C'était la liesse. Après tout, le mariage de sa sœur était pour bientôt.

C'était également le temps qu'ils craignaient tous. Car si Oncle Oscar voulait accomplir une merveilleuse vengeance, c'était le moment idéal pour détruire la famille.

-Savez-vous, fit le Comte en la guidant dans ses bras avec une certaine aisance, que ma famille possède des navires marchands ?

Et voilà. Il allait faire l'éloge de son pedigree. Aliénor conserva un sourire poli tout au long de la danse. Malheureusement, elle crut ne jamais s'en débarrasser. Ils en étaient à cinq minutes d'inventaire sur le contenu des cales de l'un des bateaux, quand le morceau prit fin. Elle voulut s'éloigner, mais il la retint pour une nouvelle danse. Diantre ! Elle n'en avait aucune envie ! Mais elle ne pouvait pas non plus le repousser ainsi, sous peine de se faire remarquer. Instinctivement, elle se mordilla la lèvre inférieure, indécise. Ce que le Comte ne parut pas voir. Il était trop concentré sur son exposé.